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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/504

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cela avec l’attention que l’aérostat ne dépassât que de très-peu la crête du glacis, pour ne pas attirer l’attention des assiégeants, malgré l’obscurité de la nuit. Les trois enceintes qui environnaient la ville, furent successivement franchies de cette manière (fig. 289).

Le jour n’était pas encore levé, quand la troupe des aérostiers gagnait, en silence, la route de Namur. Rien ne paraissait menacer sa sécurité. Seulement, au lever du soleil, le vent, qui commençait à souffler fortement, poussait l’aérostat contre les pommiers qui bordaient la route, ce qui obligea nos conducteurs à prendre à travers champs.

On était à la fin de juin, la chaleur s’annonçait étouffante, et l’on comptait quinze heures de Maubeuge à Charleroi. Comme les chemins, qui servaient surtout au transport de la houille, étaient couverts d’une poussière noire de charbon de terre, les aérostiers étaient couverts d’une couche noirâtre, formée de la terre charbonneuse du chemin.

C’était un spectacle étrange que ces trente hommes, à demi nus, à cause de la chaleur, et noirs comme des démons, conduisant un énorme globe, suspendu au milieu de l’air. Les superstitieux habitants des Flandres, qui rencontraient cet équipage bizarre, s’enfuyaient de terreur, ou s’agenouillaient, saisis de mystérieuses craintes.

Mais les Flamands sont encore plus charitables que superstitieux. Quand ils voyaient les pauvres aérostiers épuisés de fatigue, pour avoir marché pendant plusieurs heures en plein soleil, dans les terres labourées, ils s’empressaient de leur apporter du pain, des vivres, et de tirer l’eau du puits, pour les désaltérer, ou laver leur visage et leur corps.

C’est au prix de tant de fatigues que la compagnie des aérostiers de Coutelle arriva, vers le soir, près de Charleroi. Elle reconnut bientôt l’armée campée aux environs.

Quelle ne fut pas la surprise de ces braves soldats, lorsqu’ils entendirent tout à coup retentir les accents de la musique militaire, et qu’ils aperçurent un nuage de poussière, mêlé aux reflets brillants des armes, sortant de la ville et s’avançant vers eux. C’était toute l’armée qui, à l’annonce de l’approche des aérostiers et de leurs équipages, sortait de Charleroi, le général en tête, pour leur faire fête et honneur. La musique des régiments sonna ses plus belles fanfares à l’arrivée de la compagnie de Coutelle, qui fut installée, avec son ballon, en parfait état, dans une vaste ferme à moitié ravagée.

On eut encore le temps de faire une reconnaissance avant la fin de la journée. Coutelle monta en ballon, avec un officier supérieur, qui prit note de la situation et des forces de l’ennemi.

Le lendemain, une ascension plus sérieuse se fit dans la plaine de Jumet. Pendant la journée suivante, Coutelle demeura en observation huit heures de suite, avec le général Morelot. La ville était si vivement pressée qu’elle était au moment de capituler, et le général du haut de son observatoire aérien, s’assurait du véritable état de la place assiégée.

La capitulation fut signée le lendemain, et la garnison hollandaise retenue prisonnière.

À peine le général hollandais, commandant la place qui venait de se rendre, eut-il passé devant le front des troupes françaises, qu’on entendit retentir au loin, un coup de canon, bientôt suivi de plusieurs autres.

C’était l’armée autrichienne qui s’avançait, mais trop tard, pour débloquer Charleroi.

« Messieurs, dit le général prisonnier, si j’avais entendu ce signal quelques heures plus tôt, vous ne seriez pas dans Charleroi. »

Il est certain que si la ville n’eût pas été prise ce jour-là, le sort de l’armée française eût été compromis. On peut attribuer cet heureux résultat aux services que rendit le ballon de Coutelle, qui, par ses excellentes observations, hâta le moment de notre victoire.