Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/530

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de Monceaux, pour rassurer ses amis et recevoir les félicitations que méritait son courage. L’astronome Lalande s’empressa d’aller annoncer ce succès à l’Institut, qui se trouvait assemblé, et la nouvelle y fut reçue avec un intérêt extrême.

On trouvera peut-être ici avec plaisir, le récit de cette belle expérience, que Garnerin donna lui-même dans le Journal de Paris.

« On ne saurait croire, dit Garnerin, tous les obstacles qu’il me fallut vaincre pour arriver à l’expérience du parachute, que j’ai faite au parc de Monceaux. J’ai été obligé de construire mon parachute en deux jours et deux nuits. Pour que le parachute fût prêt le jour indiqué, je fus non-seulement contraint de renoncer aux projets de précaution que commandait la prudence dans un essai de cette importance, mais je fus encore obligé de supprimer beaucoup des agrès nécessaires à ma sûreté… Le 1er brumaire, jour indiqué pour l’expérience, j’éprouvai encore d’autres contre-temps. À 2 heures, je n’avais pas encore reçu une goutte d’acide sulfurique, pour obtenir le gaz inflammable propre à remplir mon aérostat. L’opération commença plus tard ; un vent violent contrariait les manœuvres ; à 4 heures et demie, je doutais encore que mon ballon pût m’enlever avant la nuit. Le ballon d’essai, qui devait m’indiquer la direction que j’allais suivre, manqua ; en suspendant le parachute au ballon, le tuyau qui lui servait de manche se rompit, et le cercle qui le tenait se cassa. Malgré tous ces accidents, je partis, emportant avec moi cent livres de lest, dont je jetai subitement le quart dans l’enceinte même, pour franchir les arbres sur lesquels je craignais d’être porté par le vent. Je dépassai rapidement la hauteur de trois cents toises, d’où j’avais promis de me précipiter avec mon parachute.

« Je fus porté sur la plaine de Monceaux, qui me parut très-favorable pour consommer l’expérience aux yeux des spectateurs. Aller plus loin, c’eût été en diminuer le mérite pour eux, et c’était prolonger trop longtemps leur inquiétude sur l’événement. Tout combiné, je prends mon couteau et je tranche la corde fatale au-dessus de ma tête. Le ballon fit explosion sur-le-champ, et le parachute se déploya en prenant un mouvement d’oscillation qui lui fut communiqué par l’effort que je fis en coupant la corde, ce qui effraya beaucoup le public.

« Bientôt j’entendis l’air retentir de cris perçants. J’aurais pu ralentir ma descente en me débarrassant d’un lest de 75 livres qui restait dans ma nacelle ; mais j’en fus empêché par la crainte que les sacs qui le contenaient ne tombassent sur la foule de curieux que je voyais au-dessous de moi. L’enveloppe du ballon arriva à terre longtemps avant moi.

« Je descendis enfin sans accident dans la plaine de Monceaux où je fus embrassé, caressé, porté, froissé et presque étouffé par une multitude immense qui se pressait autour de moi.

« Tel fut le résultat de l’expérience du parachute, dont je conçus l’idée dans mon cachot de la forteresse de Bude, en Hongrie, où les Autrichiens m’ont retenu comme otage et prisonnier d’État.

« Je laisse aux témoins de cette scène le soin de décrire l’impression que fit sur les spectateurs le moment de ma séparation du ballon et de ma descente en parachute ; il faut croire que l’intérêt fut bien vif, car on m’a rapporté que les larmes coulaient de tous les yeux, et que des dames, aussi intéressantes par leurs charmes que par leur sensibilité, étaient tombées évanouies. »

À la suite de la lettre de Garnerin, publiée dans le Journal de Paris, venaient des réflexions du journaliste qui retracent trop bien l’esprit de l’époque et le style du jour, pour que nous ne donnions pas à la lettre de Garnerin ce curieux complément.

« On a tremblé, on a pleuré, écrit le rédacteur du Journal de Paris, on s’est évanoui, à la vue du péril imminent que courait le jeune et intéressant physicien. Nous achevions de lire la relation de son voyage et de sa captivité, et, du point de Montmartre où nous nous étions rendus le 1er brumaire, nous avons fermé les yeux au moment où l’aéronaute a coupé la corde : Malheureux ! nous sommes-nous écrié, c’est toi, ce n’est pas la Parque qui tranche le fil de tes jours. Nous sommes rentré sans avoir eu le courage d’aller apprendre le résultat, en cherchant tristement à deviner comment un jeune homme échappé aux horreurs de la plus longue et de la plus barbare captivité, et dont la vie pouvait être encore utile à la République, avait pu avoir seulement la pensée de l’immoler en une minute, à quoi, à qui, et par quel motif ? Qu’il réussisse, on dira : Il a pourtant réussi, et voilà tout. Qu’il périsse, on dira : Qu’allait-il faire dans cette galère ?

« Ô Éléonore, qui vîtes partir des prisons de Bude ce Français devenu votre amant, avec espoir de le revoir un jour, eussiez-vous consenti à cette hasardeuse expérience ?

« Et vous, ami Horace, qui n’étiez pas le plus brave des Romains, sans pourtant être un Panurge, qu’eussiez-vous dit de l’auteur d’un pareil spectacle ?

« Vous traitiez de téméraire à triple cuirasse celui qui, le premier, brava les flots de la mer sur un bon navire ; qu’eussiez-vous dit de l’enthousiaste