Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/563

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demie de l’Hippodrome, passa par-dessus Montmorency, Luzarches et la forêt de Chantilly. Ensuite, poussé par le vent, il traversa les départements de l’Oise et de la Somme, pour arriver en Belgique. Il descendit à 10 heures du soir à Gits, près Hooglède. Le voyage ne présenta d’ailleurs d’autre incident que la longueur de l’espace franchi.

Le ballon la Ville-de-Paris, qui avait servi au grand voyage de Belgique, et qui appartenait aux frères Godard, devait, peu de temps après, périr de mort violente. Il fut consumé par le feu, aux environs de Marseille, sans que l’on puisse bien s’expliquer la cause de l’événement. Nous croyons que les aimables Provençaux s’amusèrent à mettre le feu au ballon, pour faire une bonne farce. Voici, du reste, comment le Nouvelliste de Marseille rendit compte de l’événement :

« Une foule considérable occupait hier l’enceinte d’où le ballon de M. Godard devait s’élever dans les airs. La promenade du Prado était également remplie d’une affluence inouïe de curieux, attendant le départ de l’aérostat. Le temps était magnifique, mais un léger mistral se faisait sentir, aussi quand la Ville-de-Paris est montée, majestueusement balancée, sur la tête des nombreux spectateurs, elle a pris la direction de la mer et s’y portait avec une telle rapidité que, malgré les instances des autres voyageurs, au nombre de quatre, M. Godard a voulu opérer une descente, qui s’est heureusement effectuée dans la campagne de M. Peyssel, non loin de Sainte-Marguerite. Il était alors 4 heures 5 minutes. On s’est décidé néanmoins à faire une nouvelle ascension, et l’on s’est de nouveau pourvu de lest pour remonter et aller retomber derrière les collines de la Gineste.

Ces opérations terminées, on a essayé de monter ; mais le ballon, qui avait perdu beaucoup de gaz, n’a pu s’élever, même après avoir rejeté le lest, et il a fallu que deux des voyageurs consentissent à ne pas prendre part à l’ascension. En conséquence, madame Deschamps et M. Laugier sont restés à terre. M. Laugier, dans cette circonstance, ayant bien voulu se retirer en faveur de M. Crémieux, qui devait s’absenter et n’aurait pu prendre part à l’ascension projetée pour dimanche.

Ainsi allégé, l’aérostat s’éleva lentement, emportant MM. Godard, Deschamps et Crémieux ; il était alors 5 heures. On l’a vu suivre la même direction qu’auparavant et se perdre derrière les collines de Cassis. M. Godard se voyant en face de la mer, vers laquelle le vent poussait rapidement, fit les préparatifs de descente. On jeta d’abord une longue corde, dont l’effet est de ralentir la marche de l’aérostat par le frottement en traînant sur la terre. On lâcha du gaz et l’on jeta l’ancre en même temps.

On se trouvait, en ce moment, à une élévation de 100 mètres ; le vent soufflait avec force au milieu des montagnes, et l’ancre, qui ne put mordre aucune part dans une contrée dépouillée d’arbres et tout à fait aride, courait avec bruit sur les rochers, faisant jaillir une traînée d’étincelles. Cependant l’aérostat s’abaissait vers la terre, et la nacelle, rasant les inégalités du sol, éprouvait de fortes secousses. MM. Deschamps et Crémieux s’étaient couchés dans la nacelle par le conseil de M. Godard, qui restait debout, cherchant à manœuvrer de manière à arrêter la marche de l’aérostat. Un choc lance l’aéronaute en avant de la nacelle et le fait tomber à terre.

M. Godard se relève aussitôt, et, ne songeant qu’au danger de ses compagnons, court après le ballon, qui venait de parcourir 5 ou 6 kilomètres en quelques minutes, et leur crie de tirer la corde de la soupape, que M. Deschamps tenait d’une main, tandis qu’il se retenait de l’autre à la nacelle. En même temps, M. Crémieux, qui a montré dans cette circonstance un sang-froid admirable, s’occupait à couper les cordes de la nacelle, afin de la séparer du ballon, au moment où l’on se trouverait tout à fait près de terre.

Un nouveau choc a jeté M. Crémieux hors de la nacelle, sans que sa chute lui ait occasionné aucune blessure grave, et M. Deschamps s’est alors laissé glisser à terre. Entraîné quelque temps par une corde qui s’était embarrassée à ses pieds, il a reçu quelques blessures à la tête et une entorse. La Ville-de-Paris a continué sa marche encore quelque temps, et s’est abattue à une demi-heure de là, près Cassis.

Cependant M. Godard, inquiet sur le sort de ses deux compagnons, a continué de courir dans la direction qu’ils avaient suivie, et les a pu rejoindre, non loin d’une habitation isolée, où ils ont été transportés, et dans laquelle on leur a donné les soins que leur état réclamait.

Moins grièvement contusionné que ces messieurs, M. Godard est aussitôt parti pour Cassis, afin de se procurer une voiture pour les transporter à Marseille.

Arrivé au détour d’une colline, il aperçut à quelque distance une grande clarté qui éclatait tout à coup et sillonnait la campagne ; c’était la Ville-de-Paris qui brûlait, le gaz qu’elle contenait encore s’était enflammé, on ignore encore par quelle cause. Des paysans se trouvaient à l’entour de l’aérostat et ont pu annoncer à M. Godard, qui les a interrogés de loin, que son aérostat était entièrement consumé, sauf l’extrémité, et que l’explosion du gaz n’avait occasionné aucun mal aux rustiques spectateurs qui semblaient se réjouir autour de cet incendie comme autour d’un feu de joie. »