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bre. Tout le monde sait que ce voyage se termina par une effroyable catastrophe. Après une excursion aérienne, qui avait été pleine de charmes pour les voyageurs, et dans laquelle ils avaient franchi plus de cent cinquante lieues, un accident arrivé à la soupape, l’empêcha de se refermer, de sorte que le ballon, arrivé près de terre, ne put se vider, par suite de l’occlusion de la soupape. Par malheur un vent furieux régnait à terre. Il emporta, de son souffle puissant, la colossale machine, qui fut traînée à travers la campagne, heurtant avec une violence inouïe, contre tous les obstacles qui se rencontraient devant elle. Pendant un quart d’heure, les malheureux voyageurs du Géant, emportés dans une course échevelée, virent cent fois la mort. Ce ne fut que par un miracle qu’ils en sortirent vivants, mais tous blessés ou meurtris.

On trouve dans les Mémoires du Géant un récit très-dramatique de la catastrophe du Hanovre, sa longueur nous empêche de le reproduire. Nous emprunterons la relation du même événement à l’un des compagnons de route de M. Nadar, à M. E. d’Arnoult, qui a consacré une courte et intéressante brochure au Voyage du Géant[1].

Avant d’arriver aux détails de la catastrophe, qui se produisit au moment de la descente, M. E. d’Arnoult résume ainsi la première partie du voyage de Paris jusqu’à Fresnoy.

« Le Géant, suivant une ligne absolument droite, s’était dirigé vers le nord-est, en passant à droite de Senlis, de Compiègne, de Noyon et à gauche de Chauny, en planant sur Saint-Quentin, où il avait laissé son compagnon de voyage l’Aigle, monté par M. Godard et M. Camille.

« À Fresnoy, jetant du lest, il s’était élevé à la hauteur de 2 000 mètres ; puis, redescendant, il avait tourné à l’est en suivant une ligne presque perpendiculaire à la première jusqu’à Avesne, où il reprit sa route vers le nord-est. À plusieurs lieues d’Arnheim, il traversa le Rhin, après avoir passé sur Jeumont, Eyquelines, Guische et Bois-le-Duc, et laissé sur sa gauche Malines à quatre lieues et Anvers à six.

« Le Rhin traversé, le Géant s’était trouvé à un peu moins de sept lieues du Zuyderzée. Là, se relevant à une très-grande altitude, il avait traversé l’Yssel et Deesburg et repris la direction de l’Est jusqu’aux frontières de Westphalie, d’où il sembla vouloir se diriger entièrement vers le nord-est jusqu’à Groeningue ; mais, encore une fois, le vent change et le ramène vers l’est jusqu’à Nienburg.

« D’après des calculs que tout porte à croire exacts, le Géant venait de parcourir trois cent soixante-dix lieues en seize heures et quelques minutes.

« Je reprends mon récit. Le projet de descendre étant bien résolu, les derniers sacs de lest furent rangés, les cordes et les ancres préparées, et Godard ouvrit la soupape.

— Le monstre se dégorge, dit Thirion !

« En effet, le ballon rendait son gaz avec un bruit énorme qui paraissait être le souffle de quelque animal gigantesque.

« Pendant cette réflexion de notre compagnon, nous descendions avec une rapidité de deux mètres par seconde.

— Aux cordes ! aux cordes ! tenez-vous bien ! criaient les deux Godard, qui semblaient être tout à fait dans leur élément, gare au choc !

« Chacun s’était cramponné aux cordes qui retenaient la nacelle au cercle placé au-dessous du ballon. Madame Nadar, vraiment magnifique de sang-froid, saisit de ses mains délicates deux grosses cordes. Nadar en fit autant, mais en embrassant sa femme de manière à la couvrir de son corps. J’étais à côté, vers le milieu de la claie servant de balcon, à genoux ; j’étreignais également deux cordes. À côté de moi étaient Montgolfier, Thirion et Saint-Félix. Le ballon descendait à nous donner le vertige ; nous arrivions, et l’air, si calme en haut, était, au ras du sol, agité par un grand vent.

— Nous jetons les ancres ! crie Godard, nous touchons, tenez-vous bien… Ah !…

« La nacelle venait de toucher terre avec une violence inouïe. Je ne sais comment il se fait que mes bras ne s’arrachèrent point.

« Après ce premier choc épouvantable, le ballon remonta ; mais la soupape était ouverte, il retomba, et nous eûmes une secousse, sinon plus terrible, au moins plus douloureuse que la première ; le ballon remonta, il chassait sur les ancres ; tout à coup nous crûmes être précipités à terre.

— Les amarres sont cassées ! cria Godard. Le ballon donna de la tête comme un cerf-volant qui tombe. Ce fut horrible.

« Nous chassions avec une vitesse de dix lieues à l’heure vers Nienburg. Trois gros arbres furent coupés par la nacelle comme par la hache d’un bûcheron ; une petite ancre restait encore ; on la jeta, elle s’agrafa au toit d’une maison dont elle

  1. Voyage du Géant de Paris à Hanovre en ballon, par Eugène d’Arnoult. 1 vol. in-18. Paris 1863.