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long et rigoureux. Le pauvre artiste manquait de ressources ; comment aurait-il pu pousser plus loin une entreprise au-dessus de ses forces ? Il ne pouvait même payer le loyer de remplacement de sa machine, dans la fonderie. Il lui fallut, pour s’acquitter, se décider à vendre au fondeur, la machine même, objet de tant d’espérances et de déceptions si poignantes.

Voici la dernière pièce concernant le triste drame que nous venons de raconter.

« Je soussigné, reconnais avoir acheté de M. Dupuis-Delcourt, pour en opérer la fonte, sans pouvoir en faire aucun autre usage, un ballon de cuivre, lequel mis en pièces a pesé 310 kilogrammes, dont je lui ai remis immédiatement le montant.

Paris, le 12 janvier 1845.                                        Montel. »

Dupuis-Delcourt a continué pendant vingt ans encore, à poursuivre le métier, difficile et peu lucratif, d’aéronaute. Né à Berne, le 22 mars 1802, il avait connu des jours meilleurs. Il avait eu, comme auteur dramatique, quelques succès au théâtre ; mais rien n’avait pu le détourner de l’aérostation, qui fut la passion de sa vie. Il avait connu Montgolfier, le créateur de l’aéronautique, et le professeur Charles, son organisateur. Il avait assisté à l’expérience du pauvre Deghen, l’homme volant, venu de Vienne en France, pour subir la déconvenue que nous avons racontée. Il avait assisté à la dilacération, faite par le peuple furieux, du ballon, prétendu dirigeable, du colonel de Lennox. Il avait connu Robertson et vécu dans l’intimité de Jacques Garnerin, qui lui laissa tous ses manuscrits. Il avait vu le cadavre de la malheureuse madame Blanchard, relevée dans la rue de Provence, avec les débris de son ballon incendié au milieu des airs. Il avait été l’aéronaute favori de Louis-Philippe, après avoir été bien accueilli du roi Louis XVIII. Il avait exécuté de nombreuses ascensions, une, entre autres, avec cinq ballons réunis, comme devait l’annoncer plus tard, mais non l’exécuter, M. Petin : il nommait cela la flottille aérostatique. Il était assez bon chimiste, car, pendant cinq ans, il professa la chimie à l’Athénée de la rue de Valois, et il ne tirait guère ses moyens d’existence que de quelques leçons qu’il donnait à des jeunes gens de son pauvre quartier. Comme sa parole était facile et son débit assuré, il donnait souvent des leçons ou ce que l’on nomma plus tard des conférences, dans les cercles de Paris, sur les questions d’aéronautique. Il avait fondé la Société aérostatique et météorologique. Enfin, il avait publié, un Manuel de l’aérostation, que nous avons plus d’une fois cité dans le cours de cette notice, ouvrage estimable, quoique assez incohérent, et le seul qui ait longtemps existé sur cette matière. Enfin, il nous a souvent entretenu d’un Traité complet théorique et pratique des aérostats, auquel il travailla toute sa vie, mais dont il ne put jamais s’occuper avec suite, aucun éditeur, dans l’espace de trente ans, n’ayant voulu s’en charger.

C’est pour écrire ce fameux Traité complet des aérostats, qui ne devait jamais voir le jour, que Dupuis-Delcourt avait rassemblé la collection la plus complète, et certainement la plus curieuse, de livres, de pièces, de gravures et de manuscrits, concernant l’aérostation. Cette collection comprend des autographes de Montgolfier, de Jacques Garnerin, de Blanchard, plus de 600 gravures relatives aux ballons, 700 numéros de journaux, racontant les péripéties des divers voyages aériens, et discutant la valeur de ces découvertes, sans parler de 400 volumes et brochures sur la même matière, qui forment une petite bibliothèque.

Cette collection fut la passion de sa vie. Il s’occupait, sans cesse, de l’augmenter, et de réunir les pièces les plus rares. Nous lui avons vu payer quatre-vingt-dix francs, somme exorbitante pour lui, l’ouvrage du P. Galien sur l’Art de naviguer dans les airs, vieux bouquin in-18, que nous avons signalé à l’occasion du