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ÉTHÉRISATION

Soulager la douleur est une œuvre divine, a dit Hippocrate. Lorsque le père de la médecine exprimait cette idée, il parlait seulement de ces palliatifs insuffisants ou infidèles employés de son temps pour atténuer, dans le cours des maladies, les effets de la douleur. La découverte de l’éthérisation est venue donner à cette pensée une signification plus précise ; et de nos jours, en présence des résultats fournis par la méthode américaine, quelques esprits enthousiastes n’ont pas hésité à lui prêter le sens d’une vérité absolue. Sans vouloir prendre au sérieux cette interprétation, qui se ressent un peu trop du mysticisme des universités allemandes, on ne peut cependant s’empêcher de reconnaître dans la découverte de l’éthérisation, la réunion des circonstances les plus étranges. Rien, dans son origine, dans ses débuts, dans ses progrès, dans son développement, dans son institution définitive, ne rappelle les formes et l’évolution habituelles des découvertes ordinaires. C’est dans un coin du nouveau monde, loin de cette Europe, siége exclusif et berceau des sciences, qu’elle voit inopinément le jour, sans que rien l’ait préparée ou annoncée, sans que le plus léger indice ait fait pressentir un moment l’approche d’un événement aussi grave. Elle ne se produit pas dans le monde scientifique sous les auspices d’un nom brillant ; c’est un pauvre et ignorant dentiste qui, le premier, nous instruit de ses merveilles. Toutes les inventions de notre époque se sont accomplies lentement, par des tâtonnements pénibles, par des progrès successifs laborieusement réalisés ; celle-ci atteint du premier coup ses dernières limites : elle est à peine connue et signalée en Europe, qu’aussitôt des milliers de malades sont appelés à jouir de ses bienfaits. La plupart des grandes découvertes de notre siècle ont coûté à l’humanité de nombreuses victimes ; les machines à vapeur, les bateaux à vapeur, les chemins de fer, les aérostats, la poudre à canon, le paratonnerre, toutes les machines merveilleuses de l’industrie moderne, nous ont fait acheter leur conquête par de pénibles sacrifices. Au contraire, l’éthérisation, bien qu’elle touche aux sources mêmes de la vie et qu’elle semble témérairement jouer avec la mort, n’amène pas, dans ses débuts, l’accident le plus léger ; dans les applications innombrables qu’elle reçoit dès les premiers temps, elle ne compromet pas une seule fois la vie des hommes. Toutes nos découvertes sont loin d’atteindre d’une manière absolue le but qu’elles se proposent ; elles laissent toujours aux perfectionnements et aux progrès de l’avenir une part considérable. L’éthérisation semble, au contraire, toucher du premier coup à la perfection et à l’idéal ; car non-seulement elle remplit complétement son objet, l’abolition de la douleur, mais elle le dépasse encore, puisqu’elle substitue à la douleur un état tout particulier de plaisir sensuel et de bonheur moral. Quel étonnant contraste entre les opérations chirurgicales pratiquées avant la découverte de