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sa maison, et il attendit avec une impatience facile à comprendre qu’un malade voulût bien se prêter à une expérience plus complète.

L’occasion s’offrit le soir même. À 9 heures, un habitant de Boston, nommé Eben Frost, se présenta chez lui souffrant d’un violent mal de dents, mais craignant la douleur et désirant être magnétisé pour ne rien sentir.

— J’ai mieux que cela, dit Morton.

Il versa de l’éther sur son mouchoir et le fit respirer à son client. Celui-ci ne tarda pas à perdre connaissance. Un de ses confrères, le docteur Hayden, qui avait voulu être témoin de l’expérience, tenait une lampe pour éclairer l’opérateur. Morton prit ses instruments et arracha une dent barrée qui tenait par de fortes racines. La figure du patient ne fit pas un pli. Au bout de deux minutes il se réveilla et vit sa dent par terre. Il n’avait ressenti aucune douleur et ne pouvait se rendre compte de rien. Il demeura encore vingt minutes dans le cabinet du dentiste, et sortit parfaitement remis, après avoir signé un certificat constatant le fait.

Morton était transporté de joie. Le lendemain il courut chez Jackson pour lui raconter l’événement : il ne pensait pas encore à réclamer pour lui seul la pensée de l’invention ; il ne voulait pas encore être la tête d’une découverte dont il n’avait été que le bras.

Jackson ne parut pas surpris le moins du monde.

« Je vous l’avais dit, répondit-il sans s’émouvoir davantage.

Ils commencèrent alors à s’entretenir des moyens de poursuivre les applications d’un procédé si remarquable et si nouveau.

— Je vais, dit Morton, employer l’éther avec toutes les personnes qui se présenteront à mon cabinet.

— Voilà qui est parfait, dit Jackson, mais cela ne suffit point. Allez, sans plus tarder, chez le docteur Warren, chirurgien de l’hôpital général ; faites-lui part de ce que vous avez fait, et proposez-lui d’employer l’éther dans une opération sérieuse. Personne ne croirait à la valeur de ce procédé, si l’on se bornait à l’employer pour une opération aussi simple que celle d’une extraction de dent. Il arrive souvent que les malades n’éprouvent aucune douleur, si cette opération est faite avec promptitude et par un tour de main adroit. On mettrait donc le défaut de sensibilité sur le compte de l’imagination. Il faut donner au public une démonstration tout à fait sans réplique. »

Le dentiste faisait beaucoup d’objections pour se rendre à l’hôpital.

« Mais si nous allons faire à l’hôpital une expérience publique, tout le monde reconnaîtra l’odeur de l’éther, et notre découverte sera aussitôt divulguée. Ne pourrait-on pas ajouter à l’éther quelque arôme étranger qui en dissimulât l’odeur ?

— Oui, répondit Jackson en riant, quelque essence française, comme l’essence de roses ou de néroli. Après l’opération, le malade exhalera un parfum de roses, et le public ne saura plus que penser. Mais sérieusement, ajouta Jackson, croyez-vous que j’aie l’intention de faire à mon profit le monopole d’une découverte pareille ? Détrompez-vous. Ce que je vous ai communiqué, je l’annoncerai à tous mes confrères. »

Morton se décida enfin à se rendre à l’hôpital. Il vit le docteur Warren, et lui raconta son opération de la veille ; seulement il ne dit pas un mot de la part que M. Jackson avait eue dans la découverte, et s’en attribua tout l’honneur. Acceptant avec empressement la proposition du dentiste, le docteur Warren promit de saisir la première occasion qui s’offrirait d’employer l’éther dans une opération chirurgicale.

En attendant, Morton continua d’administrer l’éther aux clients qui se présentaient chez lui. Pour son second essai, il éthérisa un petit garçon qui ressentit un peu de mal-