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que pour maintenir ses droits à la priorité de l’invention. Le brevet qui leur fut délivré aux États-Unis représente, en effet, Jackson comme inventeur et Morton comme propriétaire, chargé d’exploiter la découverte. On est heureux, d’ailleurs, de trouver, dans des dépositions authentiques, les preuves du désintéressement de Jackson. Elles résultent du témoignage même de l’homme d’affaires de Morton, M. Eddy, qui fut chargé de solliciter le brevet. Dans son affidavit, M. Eddy raconte que lorsqu’il alla trouver M. le docteur Jackson pour le décider à demander le brevet, « il le trouva imbu de ces préjugés, vieux et abandonnés depuis longtemps, contre les brevets d’invention. » Il fit tous ses efforts pour combattre ses scrupules ; mais Jackson répondit « qu’il ne croyait pas qu’il fût compatible avec le principe des sciences libérales de monopoliser une découverte. » Lorsque, plus tard, Morton, persistant dans son dessein, envoyait dans toute l’étendue des États-Unis des agents chargés de vendre aux chirurgiens le droit d’employer l’éther, Jackson ne cessa de réclamer contre ces honteuses entraves. Il déclarait le brevet sans valeur et déplorait d’y voir son nom attaché. Il publia même une protestation contre le contrat qu’il avait si inconsidérément accepté, et, dans un entretien qu’il eut à ce sujet avec le président des États-Unis, il déclara combien il regrettait d’avoir cédé aux instances de son associé. Enfin, Morton lui ayant adressé un bon pour toucher une part de ses bénéfices, M. Jackson poussa le préjugé jusqu’à déchirer le mandat. Au mois de novembre, M. Eddy l’ayant informé qu’il tenait à sa disposition une somme assez considérable provenant de la même source, il refusa de l’accepter. Ainsi, la postérité n’oubliera pas que si, égaré mal à propos par sa sollicitude à maintenir ses droits d’inventeur, Jackson eut la faiblesse, de se mettre de moitié dans une mesure qui retarda pendant quelque temps la diffusion d’un bienfait public, du moins il fit tous ses efforts pour renverser les obstacles qu’il avait lui-même contribué à élever.


CHAPITRE IV

l’éthérisation en europe.

Boot, dentiste à Londres, reçut le 17 décembre 1846, une lettre de William Morton qui l’informait de la nouvelle découverte. Il s’empressa de la communiquer à l’un de ses confrères, Robinson, praticien distingué, qui fit construire aussitôt un appareil inhalateur parfaitement conçu. À l’aide de cet appareil, il administra l’éther à un de ses clients, qui subit sans douleur l’extraction d’une dent. Deux jours après, le 19 décembre, Liston pratiquait, à l’hôpital du collége de l’Université, une amputation de cuisse et un arrachement de l’ongle du gros orteil, sans que les malades eussent conscience de ces opérations. MM. Guthrie, Lawrence, Morgan, les deux neveux d’Astley Cooper, M. Ferguson, à l’hôpital du King’s College, et M. Tattum, à l’hôpital Saint-George, répétaient, quelques jours après, les mêmes tentatives, qui cependant ne furent pas toutes heureuses.

Les expériences des chirurgiens anglais furent arrêtées pendant quelques jours par les réclamations d’un agent de Morton, qui parlait de secret et de brevet, et menaçait de poursuivre en justice ceux qui feraient usage, sans son autorisation, du procédé nouveau. Cependant les chirurgiens furent bientôt rassurés par les gens de loi ; on laissa dire l’agent des inventeurs, et l’on reprit avec une ardeur nouvelle l’étude des faits extraordinaires qui allaient produire dans la médecine opératoire une transformation si profonde.

À la même époque, un praticien éminent de la Faculté de Paris fut informé, par une lettre venue d’Amérique, de la découverte de Jackson ; mais on lui offrait seulement d’essayer et d’acheter le procédé, que l’on tenait secret. Velpeau refusa prudemment d’ex-