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des révélations ! » Un autre, qui ne pouvait supporter l’odeur de l’éther, rêvait qu’on voulait le forcer à le respirer, et, pour se soustraire aux obsessions qui l’entouraient, il était contraint de se jeter dans un puits. Un troisième, qui détestait les calembours, rêvait que l’on mettait ce prix à sa délivrance.

Dans bien des cas, d’ailleurs, la cause des songes pénibles qui tourmentent les malades se rapporte à l’acte même de l’opération. L’individu éthérisé ne ressent aucune douleur ; cependant, comme l’activité de l’intelligence n’est pas chez lui entièrement éteinte, il conserve encore une vague conscience des impressions du dehors, et l’imagination, travestissant et traduisant à sa manière les sensations obtuses provoquées par les manœuvres du chirurgien, sa souffrance indécise et confuse s’exprime par des songes agités. Il se croit poursuivi par des voleurs ou par des gens qui en veulent à sa vie ; son esprit est en proie aux plus sombres images : il rêve de tourments et de supplices.

Un ouvrier, opéré par M. Simonnin, voyait le ciel en feu et poussait des gémissements. Un malade à qui l’on venait d’ouvrir un abcès n’avait pas cessé de jeter des cris pendant toute la durée de l’opération. Comme on l’interrogeait sur la cause de cette agitation : « Je ne souffrais point, répondit-il, mais un de mes camarades m’a cherché querelle et a voulu me frapper ; je le repoussais, et c’est probablement en faisant ces efforts que j’aurai crié. »

M. Martin, de Besançon, pratiquait à un homme, l’amputation du doigt, après l’avoir placé sous l’influence de l’éther ; au premier coup de bistouri, le malade fait un tel effort pour se soulever, que deux hommes peuvent à peine le contenir ; il s’agite, il s’anime, vocifère contre l’opérateur, lui demandant ce qu’il veut faire à son doigt. L’opération rapidement terminée, il semble revenir d’un rêve pénible ; on l’interroge sur ses sensations. « Ah ! je n’en sais trop rien, dit-il, je croyais qu’on s’amusait autour de mon doigt, et cela me contrariait. »

Une jeune fille, opérée par le même chirurgien d’une hernie ombilicale, est prise, pendant les premières inhalations de l’éther, de symptômes hystériques d’une effrayante intensité : grincement de dents, contraction permanente des poings, tremblement convulsif de tout le corps, face animée, cris déchirants, plaintes profondes, marques de désespoir, La malade se croyait en enfer ; elle déplorait son malheur et maudissait ceux qui l’y avaient entraînée : « Ah ! mon Dieu ! s’écriait-elle ; ah ! mon Dieu ! m’y voilà. Je brûle, je brûle, et sans avoir jamais l’espérance d’en sortir ! »

Cependant, à la dernière période chirurgicale de l’action de l’éther, lorsque le sommeil est devenu plus profond, les songes eux-mêmes ne sont plus possibles. L’engourdissement, qui a successivement envahi tous les organes de la sensibilité, s’étend enfin sur l’âme tout entière. L’être intelligent s’anéantit sous l’influence oppressive de l’agent qui maîtrise l’économie. Aucun des actes par lesquels l’intelligence se manifeste ne peut désormais s’accomplir, et, d’un autre côté, comme la sensibilité elle-même a précédemment disparu, l’homme devient, au milieu de ces étranges conditions, un être sans analogue dans la nature entière, une chose sans nom, que le langage est impuissant à définir, parce que rien, jusqu’à ce moment, n’avait pu en faire soupçonner l’existence.

Il est difficile de déterminer exactement quel genre d’impressions subit la mémoire sous l’influence des agents anesthésiques. Quelquefois les malades se rappellent exactement les impressions qu’ils ont éprouvées, et les racontent avec les plus grands détails. D’autres fois, ils ont tout oublié et ne peuvent rendre compte de leurs rêves, bien que l’existence de ces derniers ait été rendue manifeste par leurs gestes et leurs paroles. En général, la mémoire est affaiblie, et alors même que les