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qui jugea nécessaire d’enlever à la fois l’ongle et sa matrice. Déjà, auparavant, la jeune fille avait subi l’ablation de cet ongle ; mais la matrice respectée avait ramené la maladie, Pour cette première opération, elle avait aspiré l’éther et n’avait éprouvé aucune douleur ; seulement elle avait ressenti un mal de tête assez violent. On lui promit qu’avec le chloroforme elle n’aurait rien de semblable à redouter. Malgré cette assurance, dit Malgaigne, l’opération lui faisait peur, et toute la journée qui précéda, elle parut fort tourmentée, criant continuellement et désirant mourir plutôt que de s’y soumettre. C’est dans cet état que M. Meggisson la trouva le vendredi 28 janvier. Il essaya inutilement de calmer ses appréhensions. Elle se plaça sur la chaise en sanglotant. L’opérateur versa une cuillerée à thé de chloroforme sur un mouchoir, qu’il appliqua devant le nez et la bouche. Hannah Greener fit deux inspirations, puis repoussa la main de l’opérateur. Celui-ci lui commanda de tenir ses mains sur ses genoux, et elle respira alors le chloroforme pendant une demi-minute environ. La respiration n’étant pas stertoreuse et aucun autre phénomène ne s’étant présenté, M. Meggisson dit à son aide de procéder à l’opération. Celui-ci achevait l’incision demi-circulaire autour de l’ongle, quand la jeune fille fit un brusque mouvement comme pour échapper. M. Meggisson pensa que le chloroforme n’agissait pas suffisamment, et il en remettait d’autre sur le mouchoir, quand il vit soudainement les lèvres et la face pâlir, et un peu d’écume sortir de la bouche, comme dans une attaque d’épilepsie. Il lui ouvrit les yeux, ils restèrent ouverts ; il lui jeta de l’eau à la figure, il lui administra de l’eau-de-vie, dont elle avala un peu avec difficulté. Il l’étendit sur le plancher, et essaya de lui ouvrir une veine du bras, puis la veine jugulaire ; le sang ne coula pas. En un mot, moins d’une minute après l’apparition des premiers accidents, elle avait cessé de respirer, elle était morte. Depuis le commencement de l’inhalation jusqu’au moment de la mort, il ne s’était pas écoulé plus de trois minutes.

Une enquête judiciaire fut ouverte à l’occasion de ce fait. D’après les résultats de l’autopsie, qui fut pratiquée le lendemain, le docteur John Fife crut devoir rapporter la mort à l’action du chloroforme.

L’auteur de la découverte des propriétés anesthésiques du chloroforme, M. Simpson, ne manqua pas de se porter à sa défense ; il prétendit que la mort devait être attribuée non au chloroforme, mais bien aux moyens employés pour rappeler la malade à la vie. Selon lui, Hannah Greener aurait éprouvé tout simplement une syncope durant laquelle la déglutition était impossible ; en conséquence, le liquide qu’on avait voulu lui faire avaler aurait rempli le pharynx jusqu’au-dessus de l’ouverture de la glotte, et de là un obstacle à la respiration qui, dans l’état de faiblesse de la jeune fille, avait suffi pour déterminer la suffocation.

L’argumentation de M. Simpson fut réfutée avec vigueur ; mais pendant que ce débat s’agitait, un autre événement vint donner à ses adversaires de puissantes armes.

Arthur Walker, apprenti droguiste, âgé de dix-neuf ans, s’était fait une déplorable habitude de respirer le chloroforme pour se procurer les jouissances de l’ivresse. Le 8 février, on le vit peser une once de ce liquide, puis appliquer son mouchoir sur sa bouche, et il ne tarda pas à être pris d’une certaine excitation. Il n’y avait avec lui qu’un enfant dans le magasin, et comme on connaissait sa violence toutes les fois qu’on cherchait à lui retirer le flacon de chloroforme, l’enfant le laissa faire. Arthur Walker se retira au fond de la boutique, et là, posant sa tête sur le comptoir, il se mit à respirer le chloroforme en disposant son tablier au-devant de sa bouche. Dans ce moment, une personne entra dans le magasin, et, le croyant endormi, lui frappa sur l’épaule en lui disant : « Est-ce