Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/91

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Quem tetigit magneta, stylum ; ut versatilis indè
Litterulam quamcumque velis, contingere possit.
Hujus ad exemplum, simili fabricaveris orbem
Margine descriptum, munitumque indice ferri,
Ferri quod motum magnete accepit ab illo.
Hunc orbem discessurus sibi portet amicus…
His ita compositis, si clàm cupis alloqui amicum
Quem procul à toto terraï distinet ora ;
Orbi adjunge manum, ferrum versatile tracta.
Hic disposta vides elementa in margine toto :
Queis opus est ad verba notis, hùc dirige ferrum,
Litterulasque, modo hanc, modo et illam, cuspide tange…
Componas singillatim sensa omnia mentis…
Quin etiam, cum stare stylum videt, ipse vicissim
Si quæ respondenda putet, simili ratione
Litterulis variè tactis, rescribit amicus.
O ! utinam hæc ratio scribendi prodeat usu.
Cautior et citior properaret epistola…[1]

« Si vous voulez avertir de quelque chose un ami absent auquel nulle lettre ne pourrait parvenir, prenez un disque plat et large, et inscrivez tout autour les lettres dans l’ordre de l’alphabet que l’on enseigne aux enfants ; au centre, placez horizontalement une tige mobile qui ait été aimantée par le contact d’un aimant, et qui puisse à volonté se porter sur les diverses lettres en parcourant ce cadran.

« Vous aurez préparé, d’un autre côté, un appareil tout semblable, contenant aussi les lettres de l’alphabet et muni d’une aiguille mobile aimantée au contact de la première. L’ami qui s’éloigne emportera ce dernier appareil avec lui.

« Les choses ainsi disposées, si vous désirez vous entretenir secrètement avec cet ami qui habite de lointains rivages, approchez votre main du cercle ; et faites tourner l’aiguille mobile. Vous voyez sur le bord de ce cercle, les lettres dont vous avez besoin pour former les mots. C’est sur ces lettres que vous dirigez votre aiguille, tantôt sur l’une, tantôt sur l’autre, et vous exprimez ainsi successivement chaque partie de votre pensée…

« Bien plus, lorsque votre ami verra s’arrêter l’aiguille, s’il désire vous répondre à son tour, il le fera en touchant de la même façon, une à une, les lettres de son propre cadran.

« Plût au ciel que cette manière de correspondre fût mise en usage ; une lettre s’expédierait ainsi avec plus de sécurité et de promptitude. »

Si le jésuite romain n’avait voulu, dans les vers qui précèdent, que tourner en ridicule quelques prétentions des physiciens de son temps, il faut convenir que le badinage de son esprit était fort heureux, car il mettait sur la voie d’une découverte importante. D’ailleurs cette idée du jésuite versificateur ne resta pas longtemps à l’état de plaisanterie.

Le père Leurechon, dont nous avons déjà cité, dans le premier volume de cet ouvrage[2] les Récréations mathématiques, publiées en 1626, donna à la rêverie mystique du jésuite romain, une forme scientifique.

Voici ce qu’on lit dans l’ouvrage du père Leurechon.

« Quelques-uns ont voulu dire que, par le moyen d’un aimant ou d’autre pierre semblable, les personnes se pourraient entre-parler. Par exemple, Claude étant à Paris et Jean à Rome, si l’un et l’autre avait une aiguille frottée à quelque pierre dont la vertu fût telle qu’à mesure qu’une aiguille se mouvrait à Paris, l’autre se remuât tout de même à Rome, il se pourrait faire que Claude et Jean eussent chacun un même alphabet et qu’ils eussent convenu de se parler de loin tous les jours à 6 heures du soir, l’aiguille ayant fait trois tours et demi pour signal que c’est Claude et non un autre qui veut parler à Jean ; alors Claude, lui voulant dire que le roi est à Paris, il ferait mouvoir et arrêter son aiguille sur L, puis sur E, puis sur R, O, I, et ainsi de suite. Or, en même temps, l’aiguille de Jean, s’accordant avec celle de Claude, irait se remuant et s’arrêtant sur les mêmes lettres, et, partant, l’un pourrait facilement écrire ou entendre ce que l’autre lui veut signifier.

L’invention est belle, mais je n’estime pas qu’il se trouve un aimant qui ait telle vertu : aussi n’est-il pas expédient, autrement les trahisons seraient trop fréquentes et trop couvertes. »

Le père Leurechon ajoute aux lignes qui précèdent une figure que nous reproduisons à la page suivante (fig. 30) et qui se compose d’une aiguille parcourant un cadran, sur lequel sont inscrites les lettres de l’alphabet.

Tout cela n’avait de scientifique que la forme. Il ne suffisait pas de dire que « si l’on avait une aiguille frottée à une pierre, dont la vertu fût telle qu’à mesure qu’une aiguille se mouvrait à Paris, l’autre se remuât tout de même à Rome », il fallait trouver cette pierre, et cette pierre philosophale de la physique n’existait que dans les rêveries des savants de cette époque.

  1. Flaminii Stradæ, romani e Societate Jesu, Prolusiones academicæ, Romæ, 1617, p. 362.
  2. Page 22.