Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 3.djvu/26

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être bon de n’en pas trop médire. Les demi-savants font peu de mal à la science, et de loin en loin, ils font des trouvailles inespérées. Précisément parce qu’ils sont malhabiles à apprécier d’avance les éléments infinis d’un problème scientifique, ils se jettent du premier abord, au travers des difficultés les plus ardues ; ils touchent intrépidement aux questions les plus élevées et les plus graves, comme un enfant insouciant et curieux touche, en se jouant, aux ressorts d’une machine immense. Et parfois ils arrivent ainsi à des résultats si étranges, à de si prodigieuses inventions, que les véritables savants en restent eux-mêmes confondus d’admiration et de surprise. Ce n’est pas un savant qui a découvert la boussole, c’est un bourgeois du royaume de Naples. Ce n’est pas un savant qui a découvert le télescope, ce sont deux enfants qui jouaient dans la boutique d’un lunetier de Middlebourg. Ce n’est pas un savant qui a réalisé les applications pratiques de la vapeur, ce sont deux ouvriers du Devonshire, le serrurier Thomas Newcomen et le vitrier Jean Cawley ; et l’illustre James Watt, qui porta la machine à vapeur à un si haut degré de perfection, n’était, dans sa jeunesse, qu’un pauvre fabricant d’instruments de la ville de Glasgow. Ce n’est pas un savant qui a découvert la vaccine, ce sont des bergers du Languedoc. Ce n’est pas un savant qui a imaginé la lithographie, c’est un chanteur du théâtre de Munich. Il est donc prudent de ménager un peu cette race utile des demi-savants. C’est parce que Daguerre n’était qu’un demi-savant, que la photographie existe. Assurément, s’il eût été un savant complet, il n’eût pas ignoré qu’en se proposant de créer des images par l’action chimique de la lumière, il se posait en face des plus graves difficultés de la science ; il se fût rappelé qu’en France, le physicien Charles, en Angleterre l’illustre Humphry Davy, et le patient Wedgwood, après mille essais infructueux, avaient regardé ce problème comme insoluble. Le jour où cette pensée audacieuse entra dans son esprit, il l’eût donc reléguée aussitôt à côté des rêveries de Cyrano Bergerac ; il eût tout au plus poussé un soupir de regret et passé outre. Heureusement pour la science et les arts, Daguerre n’était qu’un artiste, un amateur de sciences.

Louis-Jacques-Mandé Daguerre était né ne 1787, à Cormeilles, village des environs de Paris[1]. Ses premières études furent négligées, comme celles de tous les hommes venus à cette époque pleine d’agitation et de gloire. Ses parents l’avaient laissé libre de travailler à sa guise, et comme il ressentait une véritable vocation pour la peinture, il s’y livra avec ardeur dès sa jeunesse. Mais il se trouvait à l’étroit sur une toile de chevalet, et il avait une prédilection marquée pour la peinture à effet. Il excellait à retracer, dans le paysage, les résultats de la perspective. C’est pour cela qu’il se voua à la peinture théâtrale. Il entra chez Degotti, qui était chargé des décors du grand Opéra.

Degotti reconnut bien vite les heureuses qualités de son élève, la promptitude de sa main et le fini de son exécution.

L’art des décorations théâtrales était demeuré, jusque-là, dans un véritable état d’enfance. On ne demandait les effets qu’à l’agencement des couleurs. Daguerre voulut leur ajouter les combinaisons et les jeux de la lumière. Il fut le premier à remplacer les simples châssis des coulisses, par de grands tableaux de fond, peints avec recherche et avec étude, et qui empruntaient une valeur nouvelle aux artifices d’un éclairage puissant, distribué avec art.

C’est au théâtre de l’Ambigu-Comique que Daguerre se produisit, pour la première fois, comme décorateur hors ligne. La lune mobile, du Songe ; le soleil tournant, de la Lampe merveilleuse ; l’effet de nuit, du Vampire ; le

  1. Cormeilles-en-Parisis est situé dans le département de Seine-et-Oise, canton d’Argenteuil, non loin de Franconville, sur la rive droite de la Seine.