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elle brûlait sans fumée, — elle ne noircissait pas les armes, — enfin elle avait une force de ressort trois ou quatre fois supérieure à celle de la poudre ordinaire.

En matière de science, les dires des journaux politiques ne sont pas toujours articles de foi ; cette annonce ne trouva d’abord qu’un médiocre crédit. Cependant le public fut contraint de prendre cette découverte au sérieux, quand on la vit franchir le seuil de l’Académie des sciences, et passer du journal à la tribune de l’Institut.

Dans la séance du 5 octobre 1846, on donna lecture à l’Académie, d’une lettre de M. Schönbein, auteur de l’invention annoncée. M. Schönbein exposait, dans sa lettre, les caractères de cette substance nouvelle, qu’il nommait poudre-coton (Schieswolle). Il précisait ses effets, indiquait les avantages particuliers de son emploi, et donnait la mesure de sa force balistique. M. Schönbein disait tout ; il n’oubliait qu’un point, c’était d’indiquer le procédé au moyen duquel on obtenait ce curieux produit : il se réservait, pour en retirer un profit personnel, la possession de ce secret.

Nous nous souvenons de l’impression que produisit la lecture de la lettre de M. Schönbein sur l’auditoire savant qui se presse aux séances de l’Académie. Quand on fut une fois bien certain de l’existence du fait, lorsqu’on apprit, à n’en plus douter, que le corps dont il était question n’était autre chose que du coton à peine modifié dans son aspect ordinaire, tous les chimistes qui se trouvaient là, devinèrent aussitôt le secret de l’inventeur. Au sortir de la séance, ils avaient compris que le nouvel agent n’était probablement autre chose qu’une modification ou une forme particulière de la xyloïdine, composé bien connu des chimistes, qui s’obtient en plongeant dans de l’acide azotique (eau-forte) des matières ligneuses, telles que du bois, du papier ou du coton.

Dès le lendemain, tous les laboratoires de Paris se mirent en demeure de vérifier cette conjecture ; et au bout de huit jours, on avait trouvé que pour préparer le coton-poudre, il suffit de plonger pendant quelques minutes du coton non cardé dans de l’acide azotique très-concentré. Le secret de l’inventeur était devenu le secret de Paris[1].

Comment se fait-il qu’une découverte si soigneusement tenue cachée par son auteur ait pu être ainsi surprise et divulguée en quelques jours ? C’est ce que l’on comprendra sans peine d’après l’histoire de la xyloïdine.

En 1832, Braconnot, chimiste de Nancy, mort il y a peu d’années, découvrit que si l’on traite l’amidon par l’acide azotique très-concentré, l’amidon entre en dissolution, et que si l’on ajoute alors de l’eau au mélange, il se précipite un produit blanc, pulvérulent, qu’il désigna sous le nom de xyloïdine.

Entre autres caractères, Braconnot reconnut à ce composé la propriété de brûler avec une certaine activité. Cependant il ne soumit point à l’analyse organique le produit nouveau qu’il avait découvert : il se contenta d’en étudier les caractères. Braconnot a fait en chimie organique des découvertes fondamentales, sans jamais avoir recours à l’analyse élémentaire. C’est lui qui a trouvé le moyen de changer en sucre le bois et l’amidon par l’action de l’acide sulfurique, fait d’une nouveauté et d’une portée immenses, et qui est loin encore d’avoir donné tout ce qu’il promet à l’avenir des

  1. M. Morel, ingénieur civil, est le premier qui ait préparé du coton-poudre à Paris. Peu de jours après la lecture de la lettre de M. Schönbein à l’Académie, M. Morel montrait à Arago les effets de son coton explosif employé dans les armes. Cet ingénieur ne divulgua pas d’abord les moyens de préparer ce produit : dans la séance du 12 octobre 1846, il se borna à adresser à l’Académie, dans un paquet cacheté, la description de son procédé, pour lequel il avait pris un brevet d’invention. Ce n’est que plus d’un mois après, le 30 novembre 1846, que M. Morel donna à l’Académie communication de ce procédé. Mais à ce moment tout le monde à Paris pouvait préparer du coton-poudre. Par son idée inopportune d’obtenir un brevet d’invention, M. Morel s’était privé de l’honneur d’avoir le premier fait connaître en France le produit signalé par M. Schönbein.