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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 3.djvu/282

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Cet empressement contrastait beaucoup avec l’accueil fait à la découverte nouvelle par les savants spéciaux. Ceux-ci n’avaient qu’un mépris superbe pour cette « poudre de salon. » Le Comité d’artillerie qui est institué près le Ministère de la guerre, était rempli d’un dédain suprême pour les personnes qui avaient la prétention de traiter des questions pareilles sans toutes les notions indispensables du métier, et quand on parlait de la poudre-coton au Comité d’artillerie, le Comité d’artillerie haussait les épaules. Le colonel Piobert et le colonel Morin, qui représentaient à l’Institut, l’artillerie savante, arrivaient, tous les lundis, à l’Académie, avec les notes les plus accablantes pour cette innocente invention. Ils gourmandaient l’ignorance et la crédulité du public ; ils le renvoyaient dédaigneusement aux vieilles expériences de Réaumur et de Rumford. Enfin, ils faisaient eux-mêmes des essais avec des produits mal préparés, et apportaient à l’Institut leurs résultats négatifs avec un visible sentiment de bonheur. Je n’ai jamais bien compris quel genre de satisfaction ces messieurs pouvaient ressentir alors. Les Comptes rendus de l’Académie ont même imprimé une note précieuse sous ce rapport, et que je recommande d’une manière spéciale à l’auteur futur du livre qui reste à faire sur les encouragements accordés aux découvertes scientifiques. Voici le passage le plus curieux de la note de MM. Piobert et Morin :

« Malgré le vague des renseignements transmis jusqu’à ce jour sur les effets de la poudre-coton, ou coton azoté, ainsi que le désigne M. Pelouze, auquel on doit la connaissance de cette matière vague qui ferait même douter de ses propriétés balistiques, l’artillerie n’en a pas moins étudié cette substance. Les essais qui ont été exécutés ont montré que ce coton, contrairement à ce qui avait été annoncé, donnait ordinairement un résidu formé d’eau et de charbon ; que sa combustion ne donnait pas lieu à un très-grand développement de chaleur ; qu’elle produisait peu de gaz, à tel point qu’il s’échappait quelquefois en totalité par la lumière et par le vent du projectile sans le déplacer ; que le volume des charges les plus faibles était en général très-considérable et excédait celui qu’il est convenable d’affecter à la charge des armes à feu[1]. »

Ainsi, selon MM. Piobert et Morin, la poudre-coton n’avait aucune force explosive, les gaz s’échappaient par la lumière et par le vent du projectile sans le déplacer. Or, on sait aujourd’hui que l’inconvénient du fulmi-coton n’est point son défaut de force explosive, mais, tout au contraire, une puissance tellement considérable, qu’il est difficile de la contenir et de la régulariser pour son emploi dans les armes.

Une autre circonstance curieuse de l’histoire de la poudre-coton, c’est la longue résistance que mit M. Schönbein à avouer sa défaite. Tout le monde préparait du coton-poudre, la fabrication de ce produit existait déjà sur une échelle assez étendue, on discutait les frais probables de l’opération industrielle : M. Schönbein persistait encore à tenir son procédé secret. Le 13 novembre 1846, il écrivait de Bâle la lettre suivante au journal le Times :

« Des chimistes ont déclaré que mon fulmi-coton ou coton-poudre était la même chose que la xyloïdine de Braconnot et de Pelouze, et l’autre jour la même opinion a été exprimée dans l’Académie française des sciences. J’ai plus d’une raison de nier l’exactitude de cette assertion, La déclaration d’un fait très-simple suffira pour prouver ce que j’avance. La xyloïdine de Pelouze est, conformément aux déclarations de ce chimiste distingué, facilement soluble dans l’acide acétique, formant avec ce dernier une sorte de vernis. Cet acide n’a pas la moindre action sur le coton-poudre, quelque longtemps et à quelque température que les deux substances soient tenues en contact l’une avec l’autre. »

Mais on laissait dire l’inventeur qui voyait son secret lui échapper, et ne savait pas en prendre son parti.

Heureusement pour les intérêts de monsieur Schönbein, l’Allemagne fit de cette question une affaire d’amour-propre natio-

  1. Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1846, 2e semestre, p. 811.