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du moyen âge, assez peu instruits par profession, soient allés chercher un mot latin qui ne donnait qu’une idée très-éloignée de la forme des nouvelles armes. Nous nous rangeons plus volontiers à l’avis de ceux qui pensent que les premières bouches à feu furent appelées canons à cause de leur ressemblance avec la forme de l’ancienne mesure à boire, nommée canon en français, kan, en flamand, quenne, dans le pays de Tournai et de Valenciennes. L’intempérance bien connue de nos ancêtres, milite peut-être encore en faveur de cette opinion.

Dans d’autres pays, et vers la même époque, les canons furent appelés, à cause de leur décharge, qui frappait d’étonnement, mequinas de trueños, ou machines de tonnerres, et donderbers qui signifie tuyau de tonnerre.

Presque tous les peuples ont revendiqué, le contestable honneur d’avoir les premiers fait usage du canon. Ce point, très-longtemps débattu, est maintenant éclairci d’une manière satisfaisante.

D’après l’historien espagnol Conde, les Arabes auraient les premiers employé le canon en Europe. Assiégés, en 1259, à Niebla, en Espagne, par les populations dont ils avaient envahi le territoire, ils se défendirent en lançant des pierres et des dards « avec des machines et des traits de tonnerre avec feu. » Le même historien rapporte aussi un exemple de l’usage du canon en Espagne, en 1323, lorsque le roi de Grenade, ayant mis le siége devant Baza, se servit contre la ville « de machines et engins qui lançaient des globes de feu avec grand tonnerre. »

Nous avons ajouté, d’après le même historien, dans la Notice sur les Poudres de guerre, que le sultan du Maroc, Abou-Yousouf, fit usage de poudre à canon pour lancer des boulets de pierre, au siège de Sidjilmessa, en 1273.

Cependant, comme il n’existe aucun ouvrage technique sur l’artillerie de cette époque, il est difficile de savoir si les machines à feu dont parle l’historien espagnol, étaient véritablement des canons, ou si ce n’étaient pas simplement ces balistes, ces trébuchets, ces machines à fronde, depuis si longtemps employés chez les Arabes et chez les peuples occidentaux pour lancer des matières combustibles et des carcasses incendiaires, qui, jetées par-dessus les remparts des villes, s’enflammaient au milieu de l’air avec une violente explosion. Les termes dont se sert l’historien Conde ne permettent pas de prononcer. Espérons que quelques documents encore, enfouis dans les archives espagnoles viendront un jour jeter une lumière définitive sur cette question.

En l’absence de textes plus positifs, la priorité de l’emploi du canon ne saurait être contestée à l’Italie. Dans son Histoire des sciences mathématiques en Italie, M. Libri a rapporté le texte d’une pièce authentique de la république de Florence, datée du 11 février 1325, qui constate que les prieurs, le gonfalonier et les douze bons hommes[1] ont la faculté de nommer deux officiers chargés de faire fabriquer des boulets de fer et des canons de métal pour la défense des châteaux et des villages appartenant à la république de Florence. Cette pièce, dont le texte existe encore, suffit pour établir l’existence des bouches à feu en Italie dès l’année 1325.

À partir de l’année 1326, les historiens italiens mentionnent assez souvent l’emploi des armes à feu. Nous nous bornerons à citer l’attaque de Cividale en 1331[2].

L’usage de la poudre à canon s’est introduit de très-bonne heure en France. L’histoire a constaté son emploi en 1339. au siége de Puy-Guillem[3] ; et pendant la même

  1. Le gonfalonier était le chef de la république de Florence ; les douze bons hommes, les magistrats municipaux.
  2. Lacabane, Bibliothèque de l’école des chartes, 2e série, t. I, p. 35.
  3. C’est ce qui résulte du fameux extrait du registre de la Cour des comptes, qui a été cité par Du Cange et qui est ainsi conçu : « Payé à Henri de Fumechon, pour achat de poudres et autres objets nécessaires aux canons employés devant Puy-Guillem. »