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habile et exercée aux procédés de l’aqua tinta coopérait par la suite à ce travail. Vous me demanderez probablement, Monsieur, pourquoi je grave sur étain au lieu de graver sur cuivre. Je me suis bien servi également de ce dernier métal, mais pour mes premiers essais j’ai dû préférer l’étain, dont je m’étais d’ailleurs procuré quelques planches destinées à mes expériences dans la chambre noire ; la blancheur éclatante de ce dernier métal le rendait bien plus propre à réfléchir l’image des objets représentés.

« Je pense, Monsieur, que vous aurez donné suite à vos premiers essais ; vous étiez en trop beau chemin pour en rester là ! Nous occupant du même objet, nous devons trouver un égal intérêt dans la réciprocité de nos efforts pour atteindre le but. J’apprendrai donc avec bien de la satisfaction que la nouvelle expérience que vous avez faite à l’aide de votre chambre noire perfectionnée a eu un succès conforme à votre attente. Dans ce cas, Monsieur, et s’il n’y a pas d’indiscrétion de ma part, je serais aussi désireux d’en connaître le résultat que je serais flatté de pouvoir vous offrir celui de mes recherches du même genre qui vont m’occuper[1]. »

En adressant à Daguerre un échantillon de ses produits, Niépce manifestait le désir, assez naturel, de connaître le résultat des travaux de son correspondant sur le même sujet ; mais rien ne lui fut envoyé.

Deux mois après, c’est-à-dire au mois d’août 1827, Nicéphore Niépce reçut une affligeante nouvelle : son frère Claude Niépce était dangereusement malade à Kew. Depuis dix ans Claude Niépce se fatiguait l’esprit à la poursuite de toute sorte d’inventions mécaniques ; ce qui avait fini par compromettre sa santé sans retour.

Nicéphore Niépce se hâta de partir pour l’Angleterre, accompagné de sa femme, pour prodiguer à son frère ses soins affectueux. Mais la difficulté de trouver place dans les voitures publiques de Paris à Calais, ou les retards que lui occasionnèrent ses démarches pour obtenir un passe-port, lui firent prolonger son séjour à Paris, plus qu’il ne l’aurait voulu.

Il profita de ce séjour forcé dans la capitale, pour aller trouver Daguerre, ainsi que le graveur Lemaître.

La lettre suivante, écrite par Nicéphore Niépce à son fils Isidore, et citée par M. Victor Fouque, donne d’intéressants détails sur les rapports qui s’établirent alors entre Niépce et Daguerre.

Paris, le 4 septembre 1827.

« J’ai eu, écrit Nicéphore Niépce à son fils, de fréquentes et longues entrevues avec M. Daguerre. Il est venu nous voir hier. La séance a été de trois heures ; nous devons retourner chez lui avant notre départ, et je ne sais trop le temps que nous y resterons ; car ce sera pour la dernière fois, et la conversation, sur le chapitre qui nous intéresse, est vraiment intarissable.

« Je ne puis, mon cher Isidore, que te répéter ce que j’ai dit à M. de Champmartin. Je n’ai rien vu ici, qui m’ait plus frappé, qui m’ait fait plus de plaisir que le Diorama. Nous y avons été conduits par M. Daguerre, et nous avons pu contempler tout à notre aise les magnifiques tableaux qui y sont exposés. La vue intérieure de Saint-Pierre de Rome, par M. Bouton, est bien à coup sûr quelque chose d’admirable et qui produit l’illusion la plus complète. Mais rien n’est au-dessus des deux vues peintes par M. Daguerre : l’une d’Edimbourg, prise au clair de lune, au moment d’un incendie ; l’autre d’un village suisse, prise à l’entrée d’une grande rue, et en face d’une montagne d’une hauteur prodigieuse, couverte de neiges éternelles. Ces représentations sont d’une telle vérité, même dans les plus petits détails, qu’on croit voir la nature agreste et sauvage avec tout le prestige que lui prêtent le charme des couleurs et la magie du clair-obscur. Le prestige est même si grand, qu’on serait tenté de sortir de sa loge pour parcourir la plaine et gravir jusqu’au sommet de la montagne. Il n’y a pas, je t’assure, la moindre exagération de ma part, les objets étant d’ailleurs ou paraissant de grandeur naturelle. Ils sont peints sur toile ou taffetas enduits d’un vernis qui a l’inconvénient de poisser ; ce qui nécessite des précautions lorsqu’il s’agit de rouler cette sorte de décoration pour la transporter : car il est difficile, en la déroulant, de ne pas faire quelque déchirure.

« Mais revenons à M. Daguerre. Je te dirai, mon cher Isidore, qu’il persiste à croire que je suis plus avancé que lui dans les recherches qui nous occupent. Ce qui est bien démontré maintenant, c’est que son procédé et le mien sont tout à fait différents. Le sien a quelque chose de merveilleux, et dans les effets une promptitude qu’on peut comparer à celle du fluide électrique. M. Daguerre est parvenu à fixer sur sa substance chimique quelques-uns des rayons colorés du prisme ; il en a déjà réuni quatre et il travaille à réunir les trois autres,

  1. La Vérité sur l’invention de la photographie, p. 136-138.