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autre dans la nouvelle artillerie à grande puissance, c’est l’acier. Tous les canons que M. Krupp avait envoyés à l’Exposition universelle de 1867, étaient en acier. Le perfectionnement apporté, dans ces derniers temps, à la fabrication de l’acier, permet d’obtenir cet admirable métal en masses suffisantes et à un prix assez bas pour que l’on puisse le faire entrer dans la fabrication ordinaire des pièces d’artillerie.

Parmi les différents aciers, on a fait usage surtout de l’acier puddlé des fabriques d’Angleterre ou de France, de l’acier Bessemer, de l’acier Aboukoff (propre à la Russie), et en Prusse, de l’acier Krupp, le plus résistant de tous, mais dont le mode de préparation est le secret de M. Krupp, propriétaire de l’usine.

On se ferait difficilement une idée de la masse d’acier et des travaux mécaniques qui sont nécessaires pour la fabrication des canons de la nouvelle artillerie, destinés à lancer des projectiles de 100 à 200 kilogrammes. Il faut, après avoir coulé l’acier, le forer avec des instruments et un outillage particuliers, que l’usine de M. Krupp a rassemblés après des années des plus laborieux efforts. Les usines métallurgiques d’Angleterre sont également en mesure de travailler, à l’aide d’un outillage nouveau, ces énormes masses métalliques.

La résistance du métal était la première condition à obtenir pour confectionner les canons destinés à percer les murailles métalliques des navires, parce qu’ils devaient supporter l’effort d’énormes charges de poudre. Mais quelle était l’utilité de ces charges énormes de poudre ? C’est ce qu’il convient d’expliquer. Pour percer une cuirasse métallique, il faut donner au boulet une vitesse initiale considérable, et pour cela il faut le chasser par une grande quantité de gaz explosifs, autrement dit, augmenter la charge de poudre. Quand il n’est animé que d’une faible vitesse, un boulet n’agit qu’à la manière du bélier antique : il choque, il ébranle, mais il ne perce pas. Il peut causer, si sa masse est suffisante, de graves désordres contre la plaque d’un navire cuirassé, mais il est impuissant à la traverser de part en part. Au contraire, le boulet animé d’une très-grande vitesse initiale, agit à la manière d’un emporte-pièce. Tout le monde sait qu’en tirant une balle de fusil contre un carreau de vitre suspendu à un fil, on perce dans le verre un trou régulier, sans même causer aucune oscillation à cette sorte de pendule : la vitesse avec laquelle le projectile rencontre la surface du verre, explique cette perforation si nettement produite que les parties voisines n’en sont pas même ébranlées.

Nous ajouterons que les vitesses initiales considérables déterminées par une très-forte charge de poudre, ont un autre avantage : elles augmentent la portée du tir. Ceci paraîtra évident, si l’on veut se reporter à ce que nous avons dit des forces composant la trajectoire. Ainsi la portée d’un boulet animé d’une vitesse initiale de 450 mètres par seconde, est presque double de celle du même boulet lancé avec une vitesse de 300 mètres par seconde, et l’exactitude du tir est conservée dans le même rapport.

Nous parlons ici de la justesse du tir sur une cible dont la distance est connue ; mais s’il s’agissait, comme le cas se présente habituellement à la guerre, de tirer rapidement sur un but mobile, sur un corps de troupes en marche, par exemple, les projectiles à grande vitesse donnant une trajectoire tendue auraient un avantage encore plus marqué par cette considération que leur tir est plus rasant, selon le terme consacré en artillerie.

Supposons, en effet, deux canons tirant avec des vitesses initiales doubles l’une de l’autre, sur un même but, situé au point E (fig. 302). Le projectile à grande vitesse n’emploiera, pour arriver à ce point, que moitié moins de temps que l’autre projectile ; le sommet C de sa trajectoire ne devra donc se trouver qu’à