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des seules rognures du métal suffit à payer la main-d’œuvre[1].

Outre le canon de campagne de 4, que nous venons de décrire, l’armée française emmena en Italie un certain nombre des anciens canons de 12, auxquels on avait appliqué la rayure. Ce furent les pièces de réserve ; elles devaient servir dans les cas imprévus. Mais on n’eut pas occasion d’en faire usage.

Lors de la campagne d’Italie, les pièces rayées étaient un secret pour tout le monde, même pour les officiers de l’artillerie française[2]. Les canons furent placés dans des caisses, sur lesquelles était écrit le mot fragile, et embarqués pour Gènes. Quelques jours après, presque sans instruction préalable, les artilleurs s’en servaient avec l’efficacité que chacun connaît.

C’est le 19 mai 1859, à Alexandrie, la veille du combat de Montebello, que fut tiré le premier coup des nouveaux canons. Plus tard, à la bataille de Solferino, une batterie de ces canons rayés alla détruire les réserves autrichiennes, à une distance qui avait été jugée par l’ennemi tout à fait hors de la portée de l’artillerie.

Dans la campagne de Chine, les pièces françaises et les lourds canons Armstrong, de l’armée anglaise, eurent à traverser une vaste étendue de terrain de marais, sans autre attelage que les misérables petits chevaux du pays. Notre artillerie s’en tira sans grande difficulté, tandis que les « wagons Armstrong », comme on les a appelés, restèrent piteusement embourbés, et n’arrivèrent que trop tard sur le champ de bataille. Voilà pour la légèreté du système de l’artillerie rayée française.

Par suite de toutes ces transformations, l’artillerie française actuelle ne ressemble guère à ce qu’elle était pendant les longues périodes de son histoire que nous avons passées en revue.

Les boulets pleins sont supprimés, les projectiles de l’artillerie rayée sont des obus, lançant soit leurs propres éclats, soit des balles (chrapnels), ou des boîtes à balles. Les projectiles cylindro-coniques remplissent les deux conditions de frapper comme les anciens boulets pleins, et d’éclater comme les obus. En dévissant plus ou moins la fusée métallique, pour déboucher les évents, on les fait éclater au point désiré.

Le nombre des calibres de notre artillerie nouvelle est réduit à deux : le calibre de 4, ou le canon de campagne, et le calibre de 12, ou pièce de siége.

Aucun de ces canons ne se charge par la culasse. Le chargement par la culasse est réservé aux grosses bouches à feu de la marine, dont nous parlerons en terminant cette Notice.

Malgré sa prodigieuse légèreté, car la pièce de campagne, comme nous l’avons dit ne pèse que 333 kilogrammes, la portée de nos canons rayés, ainsi que la précision de leur tir, sont extraordinaires. La pièce de campagne lance son boulet cylindro-ogival à une lieue de distance. À 1 200 mètres, tous les boulets atteignent une cible de 2 mètres de haut. À la même distance, la pièce de 12, employée dans divers pays, mettrait à peine un boulet sur dix dans une cible quinze fois plus grande.

À 2 000 mètres, les écarts du boulet cylindro-ogival n’excèdent pas 2 à 3 mètres, et sa portée totale va jusqu’à 4 500 mètres.

En raison de son faible poids, la pièce de campagne rayée se transporte avec la plus grande facilité, d’un lieu dans un autre,

  1. Aloncle, Études sur l’artillerie navale de l’Angleterre et des États-Unis, 1863. Paris, in-8o.
  2. Un premier emploi du canon rayé avait été fait dans la guerre contre les Kabyles, en 1857 ; mais on avait fait peu d’attention au rôle que les nouvelles bouches à feu avaient joué dans cette expédition. On avait attribué à l’impétuosité et au courage ordinaire de nos soldats la déroute des Kabyles. Nos batteries établies sur les plateaux de l’Atlas, à une prodigieuse distance de l’ennemi, portèrent la mort dans ses rangs et déterminèrent sa prompte retraite.