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1854, les armées alliées, soutenues par une flotte puissante, devaient tenter de s’emparer du port et de la ville de Sébastopol. En même temps, une autre flotte, dirigée vers la mer Baltique, devait assiéger Cronstadt, le boulevard de Pétersbourg, et forcer ainsi le czar, sous les murs de sa propre capitale, à céder aux justes réclamations de la France et de l’Angleterre.

Mais le port de Sébastopol était défendu par les feux croisés d’une artillerie formidable. Sa passe était hérissée d’obstacles qui la rendaient infranchissable à nos vaisseaux, exposés aux inévitables coups de ses foudroyantes batteries. D’autre part, les fortifications de Cronstadt rendaient cette forteresse tout aussi imprenable par les moyens dont on pouvait alors disposer. L’issue de la guerre de Crimée a prouvé que l’appui effectif de la flotte n’était pas indispensable à l’intrépidité de nos soldats ; cependant le secours de notre escadre paraissait nécessaire à cette époque. De là un problème fondamental à résoudre : rendre possible l’attaque par mer de forts réputés inexpugnables. L’infructueuse attaque du 7 octobre 1854, dans laquelle les canons de notre flotte réussirent à peine à dégrader les murs de Sébastopol, vint démontrer toute l’urgence de la solution de ce problème.

Ce problème était d’ailleurs fort complexe. Embossé devant une ville ou citadelle, un navire doit craindre, non-seulement les trouées des boulets ennemis, mais surtout le fracas des projectiles incendiaires envoyés de la place assiégée, joints à toutes sortes de projectiles analogues, dont l’emploi est toujours facile à terre. Il fallait donc, tout d’abord, songer à mettre la carcasse du navire embossé devant une place, à l’abri de tant d’éléments de dévastation.

Diverses dispositions avaient été tentées autrefois dans ce but. Au siége de Gibraltar en 1782, les Français firent usage de batteries flottantes, inventées par le général Darçon : c’étaient des frames en bois. D’épaisses murailles de chêne massif et un blindage en bois incliné, leur permettaient d’affronter les projectiles pleins, alors en usage dans l’artillerie. Une circulation d’eau établie entre la membrure et le bordé, devait prévenir les effets funestes des boulets rouges. Mais soit insuffisance, soit imperfection du procédé, les batteries flottantes du général Darçon périrent, incendiées, devant Gibraltar.

Paixhans a donné dans son ouvrage, Nouvelle force maritime, quelques détails sur les batteries flottantes de Gibraltar.

« Les frames de Darçon, dit Paixhans, étaient lourdes à cause de leur grande épaisseur ; elles marchaient irrégulièrement, parce qu’on ne les avait renforcées que du côté opposé au feu de la place ; elles avaient des embrasures étroites qui laissaient peu de champ de tir à l’artillerie : il n’y a par conséquent ici nul motif d’examiner en détail des bâtiments qui pouvaient convenir au cas particulier pour lequel on les avait construits, mais qui ne conviendraient pas en général au service de la mer[1]. »

En 1810, Fulton avait construit en Amérique, le Démologon, destiné à la défense du port de New-York. Les murailles, très-épaisses, de cette batterie marine, étaient en bois, mais parfaitement à l’épreuve des boulets pleins. Bien qu’elle eût été pourvue par Fulton d’une machine à vapeur, cette batterie flottante, appelée à stationner au point qu’elle devait défendre, n’était, à vrai dire, par sa forme et son objet, qu’une citadelle marine. Elle sauta, par accident, en 1829.

Paixhans décrit ainsi la batterie flottante américaine le Démologon :

« Les Américains ont fait, sur les plans de Fulton, plusieurs bâtiments curieux, qui peuvent être utiles dans quelques circonstances : ce sont des batteries flottantes, qui sont mises en mouvement par une machine à vapeur ; qui sont entourées d’un long bordage ou parapet extrêmement épais, et qui sont armées des bouches à feu des plus gros calibres.

« Ces batteries n’ayant ni mâts, ni voiles, et la roue

  1. Nouvelle force maritine, in-4o, Paris, 1822, chapitre Ier.