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les détails ne seront sans doute jamais bien connus, le lendemain, à six heures du matin, un télégramme annonçait le désastreux événement à M. Albert Tissandier, frère de l’un des trois aéronautes.

Ce télégramme fut suivi d’une lettre de M. Gaston Tissandier. Nous croyons devoir la reproduire, parce qu’elle est indispensable à l’intelligence de la suite du récit :

« Ciron (Indre), 16 avril.
« Cher monsieur,

« Un télégramme envoyé par voie officielle vous a appris l’épouvantable malheur qui nous a frappés. Sivel et Crocé-Spinelli ne sont plus ; l’apoplexie les a saisis dans les hautes régions de l’air que nous avons atteintes.

« Je vous dirai ce que je peux savoir de ce drame, car, pendant deux heures consécutives, je me suis trouvé dans un état d’anéantissement complet.

« L’ascension de l’usine à gaz de La Villette s’est bien accomplie ; à une heure de l’après-midi, nous étions à plus de 5 000 mètres (pression 400) ; nous avions fait passer l’air dans les tubes à potasse, tâté nos pulsations, mesuré la température intérieure du ballon, qui était de 20°, tandis que l’air extérieur était de — 5°. Sivel avait arrimé la nacelle, Crocé s’était servi de son spectroscope. Nous nous sentions tout joyeux.

« Sivel jette du lest ; bientôt nous montons tout en respirant de l’oxygène qui produit un effet excellent.

« À 1 heure 20, le baromètre marque 320°, nous sommes à l’altitude de 7 000 ; la température est de — 10°. Sivel et Crocé sont pâles et je me sens faible. Je respire de l’oxygène qui me ranime un peu. Nous montons encore.

Fig. 532. — Sivel.

« Sivel se tourne vers moi et me dit : « Nous avons beaucoup de lest, faut-il en jeter ? »

« Je lui réponds : « Faites ce que vous voudrez. »

Il se tourne vers Crocé et lui fait la même question. Crocé baisse la tête, en signe d’affirmation très énergique.

« Il y avait dans la nacelle au moins cinq sacs de lest ; il y en avait quatre au moins pendant en dehors par des cordelettes.

« Sivel saisit son couteau et coupe successivement trois cordes. Les trois sacs se vident et nous montons rapidement.

« Je me sens tout à coup si faible que je ne peux même pas tourner la tête, pour regarder mes compagnons qui, je crois, se sont assis.

« Je veux saisir le tube à oxygène, mais il m’est impossible de lever les bras. Mon esprit était encore très lucide ; j’avais les yeux sur le baromètre, et je vois l’aiguille passer sur le chiffre de la pression 290, puis 280, qu’elle dépasse. Je veux m’écrier : « Nous sommes à 8 000 mètres ! » mais ma langue est presque comme paralysée.

« Tout à coup je ferme les yeux et je tombe inerte, perdant absolument le souvenir : il était environ une heure et demie.

« À 2 h. 8 m. je me réveille un moment ; le ballon descendait rapidement, j’ai pu couper un sac de lest pour arrêter la vitesse et écrire sur mon registre de bord les lignes suivantes que je recopie :

« Nous descendons. Température — 8°, je jette lest : H = 315. Nous descendons, Sivel et Crocé évanouis au fond de la nacelle. Descendons très fort. »

« À peine ai-je écrit ces mots, qu’une sorte de tremblement me saisit, et je retombe évanoui encore une fois. Je ressentais un vent violent qui indiquait une descente très rapide. Quelques moments après, je me sens secouer par les bras, et je reconnais Crocé qui s’est ranimé : « Jetez du lest, me dit-il, nous descendons. » Mais c’est à peine si je puis ouvrir les yeux et je n’ai pas vu si Sivel était réveillé. Je me rappelle que Crocé a détaché l’aspirateur, qu’il a jeté par-dessus bord, et qu’il a jeté du lest, des couvertures, etc.

« Tout cela est souvenir extrêmement confus, qui s’éteint vite, car je retombe dans mon inertie plus complètement encore qu’auparavant, et il me semble que je m’endors d’un sommeil éternel.

« Que s’est-il passé ? Je suppose que le ballon