Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 5.djvu/711

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« Le samedi 18, dit M. Tissandier, M, Gower partit seul, dans son ballon la Ville d’Hyères, précédé de son petit aérostat automatique. Le temps était beau, bonne brise, mais le vent ne pouvait le mener en Angleterre. Il prévoyait toucher terre à Dieppe. Il partit à 1 h. 45 m. de l’après-midi ; à 3 heures, le sémaphore de Gatteville le signala. Puis nous n’en avons plus entendu parler.

Le lundi suivant, le capitaine d’un petit navire entrait en rade de Cherbourg, rapportant le ballon automatique, qu’il avait trouvé à 30 milles de Barfleur, vers 5 h. et demie du soir, le samedi 18, et il dit avoir vu le ballon avec nacelle descendant sur la mer à 20 milles plus loin, autant qu’il a pu en juger, s’élever et s’abaisser plusieurs fois, puis n’avoir rien vu pendant 10 ou 15 minutes ; après quoi il l’a vu s’élever de nouveau très rapidement et disparaître. Il ne peut dire si à ce moment il était dépourvu de sa nacelle.

D’autre part (dit un correspondant, M. A. Ploquin), j’ai télégraphié à Dieppe, d’où il m’a été répondu que la barque de pêche le Phénix avait trouvé le ballon la Ville d’Hyères à 13 milles de Dieppe, à 7 heures du soir, le 18, mais qu’il n’avait pas de nacelle, et que les cordages avaient été coupés au couteau. »


Il est probable que, son ballon traînant en mer et s’éloignant du bateau à bord duquel il espérait le salut, Frédéric Gower aura coupé les cordes de l’aérostat, pour flotter dans la seule nacelle d’osier, à la surface de l’Océan. Mais le secours attendu ne sera pas venu.

Il se peut encore que la nacelle ait été séparée pendant le sauvetage ; mais alors on aurait eu des nouvelles de ce sauvetage. Il se peut enfin qu’elle ait été jetée comme lest, l’aéronaute se tenant dans le cercle jusqu’au moment où l’épuisement de ses forces l’aura forcé à abandonner ce dernier et fragile appui.


Nous avons enfin à signaler la triste fin d’un jeune aéronaute plein de courage, M. Lhoste, qui périt en décembre 1887, en voulant répéter l’expérience hardie qui lui avait réussi une fois. Nous voulons parler de la traversée de la Manche, en partant de la côte de France, pour aller descendre en Angleterre ; ce qui est beaucoup plus difficile que de passer d’Angleterre en France, par la voie des airs, en raison des vents qui, presque toujours, s’opposent à ce transport. À Calais, notamment, les vents d’est, favorables à la traversée du détroit, ne régnent presque jamais. En partant de Cherbourg, le chemin serait bien meilleur : par une bonne brise du sud, le voyage aérien devrait réussir.

Lhoste espéra cependant franchir le détroit en partant de Calais. Il fit cet essai, au commencement de juin 1883, avec l’aéronaute Eloy, le même qui devait périr le 14 juillet 1885, ainsi qu’il est dit plus haut.

La première ascension que Lhoste fit avec Eloy est très intéressante à connaître. Nous allons en raconter les émouvantes péripéties.

Lhoste et Eloy partirent dans un aérostat cubant 800 mètres, le Pilâtre-de-Rozier, le 6 juin 1883.

Au moment de quitter la terre, le ciel était couvert par un brouillard humide et froid, mais à 500 mètres d’altitude ce brouillard n’existait plus. À l’altitude de 1 200 mètres, on voyait en avant le bois de Boulogne, et Pont-de-Briques un peu sur la droite. Les nuages situés au-dessus du ballon semblaient immobiles. Au-dessous, de légers nuages, déchiquetés, paraissaient filer rapidement. Le courant qui entraînait les aéronautes était nord-ouest, avec tendance à l’ouest.

En descendant, l’aérostat arriva au niveau des petits nuages, et changea de marche, en tournant brusquement sur lui-même, de droite à gauche. On traversa la Liane, à 600 mètres d’élévation. L’air était humide et froid. 45 kilogrammes de lest sont jetés, et l’élévation augmente de 400 mètres. À travers les nuages, on voit la mer ; sa couleur est d’un vert sombre, et de la hauteur de 1 000 mètres on en distingue très nettement le fond.