Page:Fontenelle - Œuvres de Fontenelle, Tome III, 1825.djvu/340

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sans ennuyer. C’est dommage qu’il n’ait vécu dans un siècle qui l’eût obligé à plus d’honnêteté et de politesse.

Les sorts passèrent jusque dans le christianisme ; on les prit dans les livres sacrés, au lieu que les païens les prenaient dans leurs poètes. Saint Augustin, dans l’épître 119 à Januarius, paraît ne désapprouver cet usage que sur ce qui regarde les affaires du siècle. Grégoire de Tours nous apprend lui-même quelle était sa pratique ; il passait plusieurs jours dans le jeûne et dans la prière : ensuite il allait au tombeau de saint Martin, où il ouvrait tel livre de l’Écriture qu’il voulait, et il prenait pour la réponse de Dieu le premier passage qui s’offrait à ses yeux. Si ce passage ne faisait rien au sujet, il ouvrait un autre livre de l’Écriture.

D’autres prenaient pour sort divin la première chose qu’ils entendaient chanter en entrant dans l’Église.

Mais qui croirait que l’empereur Héraclius, délibérant en quel lieu il ferait passer l’hiver à son armée, se détermina par cette espèce de sort ? Il fit purifier son armée pendant trois jours, ensuite il ouvrit le livre des Évangiles, et trouva que son quartier d’hiver lui était marqué dans l’Albanie. Était-ce là une affaire dont on pût espérer de trouver la décision dans l’Écriture ?

L’Église est enfin venue à bout d’exterminer cette superstition ; mais il lui a fallu du temps. Du moment que l’erreur est en possession des esprits, c’est merveille si elle ne s’y maintient toujours.