Page:Fontenelle - Œuvres de Fontenelle, Tome III, 1825.djvu/401

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hommes n’en ont acquis par leurs veilles et par leurs travaux.

ANACRÉON.

Vous prétendez railler, mais je vous soutiens qu’il est plus difficile de boire et de chanter comme j’ai chante et comme j’ai bu, que de philosopher comme vous avez philosophé. Pour chanter et pour boire comme moi, il faudrait avoir dégagé son âme des passions violentes, n’aspirer plus à ce qui ne dépend pas de nous, s’être disposé à prendre toujours le temps comme il viendrait : enfin il y aurait auparavant bien de petites choses à régler chez soi ; et qu’il n’y ait pas grande dialectique à tout cela, on a pourtant de la peine à en venir à bout. Mais on peut à moins de frais philosopher comme vous avez fait. On n’est point obligé à se guérir, ni de l’ambition, ni de l’avarice : on se fait une entrée agréable à la cour du grand Alexandre : on s’attire des présens de cinq cent mille écus, que l’on n’emploie pas entièrement en expériences de physique, selon l’intention du donateur ; et en un mot, cette sorte de philosophie mène à des choses assez opposées à la philosophie.

ARISTOTE.

Il faut qu’on vous ait fait ici-bas bien des médisances de moi : mais après tout, l’homme n’est homme que par la raison, et rien n’est plus beau que d’apprendre aux autres comment ils s’en doivent servir à étudier la nature, et à développer toutes ces énigmes qu’elle nous propose.

ANACRÉON.

Voilà comme les hommes renversent l’usage de tout. Ta philosophie est en elle-même une chose admirable,