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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Sur les lettres et requêtes du roi de France, les barons d’Escosse se conseillèrent. Quand ils furent bien conseillés, et ils eurent bien considéré parfaitement toutes leurs besognes et la dure guerre que ils avoient aux Anglois, ils s’accordèrent liement, et le jurèrent et scellèrent avec le roi leur seigneur. Ainsi furent les alliances de ce temps faites entre le roi Philippe de France et le roi David d’Escosse, qui se tinrent fermes et estables un long temps. Et envoya le dit roi de France gens d’armes en Escosse pour guerroyer les Anglois. Et par espécial, messire Arnoul d’Audrehen, qui depuis fut maréchal de France, et le sire de Garencières avec plusieurs chevaliers et écuyers y furent envoyés ; et y firent maintes belles appertises d’armes si comme vous orrez avant en l’histoire. Or me tairai à présent de cette matière, et me retrairai à notre matière de devant.


CHAPITRE LXXVI.


Comment le roi Édouard manda à la roine sa femme qu’elle appassât la mer ; et comment le marquis de Juliers et sa compagnie, qui étoient allés devers l’empereur, s’en retournèrent.


Quand le roi Édouard et les autres seigneurs à lui alliés se furent partis du parlement, si comme vous avez ouï, le roi se traist à Louvaing[1] et fit appareiller le château pour demeurer ; et manda à la roine Philippe sa femme, si elle voulut venir par deçà la mer, il lui plairoit bien, car il ne pouvoit de là repasser toute celle année ; et renvoya grand’foison de ses chevaliers outre, pour garder son pays, mêmement sur la marche d’Escosse. La roine dessusdite prit en grand’plaisance ces nouvelles du roi son seigneur, et s’appareilla au mieux et au plutôt qu’elle put, pour passer la mer.

Entrementes que ces besognes se détrioient, les autres chevaliers anglois qui étoient en Brabant de-lez le roi, s’épandirent à val le pays de Flandre et de Hainaut, en tenant grand état et en faisant grands frais ; et n’épargnoient ni or ni argent, non plus que s’il leur plût des nues ; et donnoient grands joyaux aux seigneurs et dames et damoiselles, pour acquérir la louange de ceux et de celles entre qui ils conversoient ; et tant faisoient qu’ils l’avoient, et étoient prisés de tous et de toutes, et mêmement du commun peuple à qui ils ne donnoient rien, pour le bel état qu’ils menoient. Or revinrent de l’empereur monseigneur Louis de Bavière, environ la Toussaint[2], le marquis de Juliers et sa compagnie. Si signifia et escripsit par certains messages chevaliers, au roi Édouard sa revenue, et manda aussi que, Dieu merci ! il avoit très bien exploité. De ces nouvelles fut le roi anglois joyeux ; et rescriprit au dit marquis que à la fête Saint-Martin il fut devers lui, et que à ce jour tous les autres seigneurs y seroient. Avec tout ce le roi anglois se conseilla au duc de Brabant son cousin, et demanda où il vouloit que ce parlement se tînt. Le duc fut avisé de répondre, et ne voulut mie adonc qu’il se tint en son pays ; et si ne voulut mie aller jusques à Tret où la journée eût été bien séant, pour cause des seigneurs de l’Empire ; ains ordonna et voulut qu’elle fût assise à Herques, qui sied près de son pays, en la comté de Los. Le roi Anglois, sachez, avoit si grand désir de sa besogne avancer qu’il lui convenoit poursuivre et attendre tous les dangers et les volontés du duc son cousin, puisqu’il s’y étoit embatu ; et s’accorda à ce que la journée fût assignée à Herques : si la fit savoir à tous ses alliés, qui tous y vinrent à son mandement, au jour de la Saint-Martin.

Quand tous furent là venus, sachez que la ville fut grandement pleine de seigneurs, de chevaliers, d’écuyers et de toutes autres manières de gens ; et fut la halle de la ville où l’on vendoit pain et chair, qui guères ne valoit, encourtinée de beaux draps comme la chambre du roi ; et fut le roi anglois assis, la couronne

  1. On ne trouve dans Rymer, sous cette année, aucun acte daté de Louvain ; la plupart furent expédiés à Anvers. Il paraît donc que Froissart s’est trompé sur le lieu de la résidence d’Édouard, à moins qu’on ne suppose, ce qui n’est guère vraisemblable, que ce prince, en fixant son séjour à Louvain, avait laissé sa chancellerie à Anvers.
  2. Le marquis de Juliers retourna certainement beaucoup plus tôt auprès d’Édouard ; car l’assemblée de Hercques dont Froissart va parler, et qu’il fixe à la Saint-Martin, dut se tenir peu après la fête de saint Denis. On trouve en effet dans la Chron. du Brabant d’Edmundus Dinterus, l’ordre adressé au duc de Brabant de se rendre à cette assemblée le lundi après la fête de saint Denis, die lunæ proximè post tunc instans festum S. Dyonisii, c’est-à-dire le lundi 12 octobre, un mois avant la fête de saint Martin. L’erreur de Froissart vient probablement de ce qu’il a confondu l’assemblée de Hercques avec une autre qui se tint à Malines peu après la Toussaint, suivant le même Dinterus.