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LIVRE I. — PARTIE II.

tous les Escots le confort et la ralliance : et se tenoit en la forêt de Gedours. Si avoit avec lui plusieurs chevaliers et écuyers d’Escosse et de France que le roi Jean y avoit envoyés[1], lesquels faisoient guerre avec lui aux Anglois, et comment qu’ils ne fussent qu’un petit de gens, si donnoient-ils à faire moult aux Anglois, et les ressoignoient durement ceux du pays de Northonbrelande. Ce messire Guillaume de Douglas, par prouesse et par vasselage, depuis la prise du roi d’Escosse, avoit reconquis sur les Anglois sept bonnes forteresses qu’ils tenoient des Escots, et avoit mis ceux de son pays au-dessus de leur guerre.

Or entendit-il ainsi que le royaume d’Angleterre étoit durement vide de gens d’armes et d’archers, et que ils étoient tous, ou en partie, avec le roi d’Angleterre ou son fils le prince de Galles, ou le duc Henry de Lancastre. Si s’avisa le dessus dit messire Guillaume avec ses compagnons que ils feroient secrètement une chevauchée en Angleterre et viendroient écheller le fort châtel de Rosebourch[2] qui sied sur la rivière de Tuide, et la ville et le châtel de Bervich séant sur cette même rivière. Si firent leur besogne et leur ordonnance tout coiement ; et s’en vinrent, pourvus d’échelles et avisés de leur fait, à un ajournement en deux batailles à Rosebourch et à Bervich. Les gardes de Rosebourch qui étoient ; toudis en doute et en crémeur pour les Escots, faisoient bon guet ; et faillirent les Escots à leur entente de prendre et écheller Rosebourch ; mais ceux qui vinrent à Bervich ne faillirent mie, ainçois assenèrent de prendre et écheller le châtel et tuer toutes les garde qui dedans étoient.

Le château de Bervich sied au dehors de la cité ; et y a murs, portes et fossés entre deux ; et toudis, quoique on garde le châtel de Bervich, aussi est-on moult soigneux de garder la cité. Si ouïrent les gardes de la porte l’effroi qui étoit ens ou châtel. Si saillirent tantôt sus et allèrent rompre les planches parquoi les Escots soudainement de pussent venir plus avant, et éveillèrent ceux de la ville qui tantôt s’armèrent et allèrent celle part et défendirent leur ville. Jamais les Escots ne l’eussent eue, puisqu’ils en étoient maucriés. Toufefois le château demeura aux Escots.

Si eurent avis les bourgeois de Bervich qu’ils le signifieroient au roi d’Angleterre, car encore le sire de Grastoch, un grand baron de Northonbrelande, qui avoit tout ce pays en gouvernance, étoit avec le roi d’Angleterre en ce voyage en France. Si escripsirent ceux de Bervich lettres ; et signifièrent en tout leur état et comment les Escots avoient exploité, desquels messire Guillaume Douglas étoit meneur et souverain. Ainçois que ces lettres et ces nouvelles venissent au roi d’Angleterre, fit le dit messire Guillaume[3] une partie de son emprise, si comme vous orrez conter en suivant.


CHAPITRE XVII.


Cy parle de la demeure du roi du Angleterre devant Blangis, et comment, sur la nouvelle de la venue des Escots à Bervich, il revint à Calais.


Tant alla le roi d’Angleterre que il vint devant Blangis, un beau châtel et fort de la comté d’Artois ; dont ceux de Hesdin furent tout ébahis, car c’est marchissant à deux petites lieues près. Et couroient les Anglois le pays à leur volonté jusques bien avant en la comté de Saint-Pol et d’Artois. Entrementes que le roi d’Angleterre se tenoit là, vint en son ost un moult bon chevalier de France des basses marches, qui s’appeloit Boucicaut[4] et étoit prisonnier au roi d’Angleterre de la prise de Poitou, et avoit bien été trois ans. Si lui avoit le roi d’Angleterre fait grâce d’être retourné en France et en son pays pour

  1. Je trouve le passage suivant dans la Scala chronica apud Leland :

    At this tyme a Baronet of Fraunce, caullid Garenceris, cam with 50 men of armes yn to Scotland, and brought with hym X. M. markes of the french kinges treasor to be gyven emong the prelates and barons of Scotlande, apon the condition that they should brake their trews with the king of England, and make werre apon hym.

    Et à cette époque arriva en Écosse un baron de France appelé Garancières, avec cinquante homme d’armes et dix mille marcs du trésor du roi de France à départir entre les prélats et barons d’Écosse, sous la condition qu’ils violeraient la trêve et feraient guerre au roi l’Angleterre.

  2. Il reste à peine aujourd’hui un seul vestige de cette ville autrefois assez considérable.
  3. Le Guillaume de Douglas dont il a été question dans les parties précédentes de cette chronique, avait été assassiné en 1353 dans la fonêt d’Ettrick par son parent et filleul, de même nom que lui, et qui devint plus tard comte de Douglas.
  4. C’est le père du célèbre maréchal de Boucicaut ; il fut lui-même depuis maréchal de France.