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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

bonnes villes[1]. Quand ils furent tous venus à Paris, ils entrèrent en conseil. Là étoient le roi de Navarre, le duc de Normandie, ses deux frères, le comte de Tancarville et messire Arnoul d’Andrehen, qui remontrèrent la besogne et sur quel état ils étoient venus en France. Là furent les lettres lues et relues, et bien ouïes et entendues, et de point en point considérées et examinées. Si ne purent adonc être les conseils en général du royaume de France d’accord, et leur sembla cil traité trop dur[2] ; et répondirent d’une voix aux dits messagers que ils auroient plus cher à endurer et porter encore le grand meschef et misère où ils étoient, que le noble royaume de France fût ainsi amoindri ni deffraudé ; et que le roi Jean demeurât encore en Angleterre ; et que quand il plairoit à Dieu, il y pourverroit de remède et mettroit attrempance. Ce fut toute la réponse que le comte de Tancarville et messire Arnoul d’Andrehen en purent avoir[3]. Si se partirent sur cel état et retournèrent en Angleterre ; et se retrairent premièrement devers le roi de France leur seigneur, et lui contèrent comment ils n’avoient pu rien exploiter. De ces nouvelles fut le roi de France moult courroucé, ce fut bien raison ; car il désiroit sa délivrance, et dit : « Ha ! Charles, beau fils, vous êtes conseillé du roi de Navarre qui vous déçoit, et décevroit tels soixante que vous êtes. »


CHAPITRE C.


Comment le roi d’Angleterre fit faire grand appareil pour venir en France ; et comment l’archevêque de Reims, le comte de Porcien et le comte de Braine conquirent le châtel de Roussy.


Ces deux seigneurs dessus nommés retournés en Angleterre, le roi Édouard, ainsi comme il appartenoit, sçut la réponse, car ils lui relatèrent tout ainsi, ni plus, ni moins, qu’ils en étoient chargés des François. Quand le roi d’Angleterre eut entendu ces nouvelles, il fut durement courroucé ; et dit devant tous ceux qui le pouvoient ouïr que ainçois que hiver fût entré, il entreroit au royaume de France si puissamment et y demeureroit tant qu’il auroit fin de guerre, ou bonne paix à son honneur et plaisir[4]. Si fit commencer à faire le plus grand appareil que on eût oncques mais vu faire en Angleterre pour guerroyer.

Ces nouvelles issirent par tous pays, si que partout chevaliers et écuyers et gens d’armes se commencèrent à pourvoir grossement et chèrement de chevaux et de harnois, chacun du mieux qu’il put, selon son état ; et se traist chacun, du plus tôt qu’il put, par devers Calais, pour attendre la venue du roi d’Angleterre ; car chacun pensoit à avoir si grands bienfaits de lui, et tant d’avoir gagner en France que jamais ne seroient jamais povres ; et par espécial ces Allemands qui sont plus convoiteux que autres gens.

En cette même saison et environ le milieu d’août, advint que messire Jean de Craon archevêque de Reims et ceux de la dite cité et du pays environ, parmi l’aide des chevaliers et écuyers de la comté de Retel et autres chevaliers et écuyers de l’évêché de Laon, se assemblèrent et vinrent mettre le siége par devant la ville et le châtel de Roussy, et le contraignirent si, sur le terme de trois semaines qu’ils y furent, que ceux qui dedans étoient se rendirent, sauves

  1. Cette assemblée était indiquée pour le dimanche 19 mai ; mais les chemins étaient si infestés par les Anglais et les Navarrais qui occupaient plusieurs forteresses de tous les côtés par où on pouvait venir à Paris, et par les garnisons françaises qui pillaient autant que les Anglais, qu’un grand nombre de personnes ne purent s’y rendre, quoiqu’on eût prolongé jusqu’au samedi 25 mai le jour de l’ouverture des états.
  2. Par ce traité Jean cédait à Édouard la Normandie, la Saiutonge, l’Agénois, le Quercy, le Périgord, le Limousin, la Touraine, etc. ; en un mot, les deux tiers de la France, pour les posséder en toute souveraineté.
  3. Il fut aussi réglé dans ces états que les nobles serviraient un mois à leurs dépens, non compris dans ce mois le temps qu’ils seraient en route pour se rendre à l’armée et pour en revenir ; et qu’ils paieraient les impositions octroyées par les bonnes villes. Les gens d’église offrirent aussi de les payer. La ville de Paris s’engagea pour elle et pour la vicomté d’entretenir six cents glaives, quatre cents archers et mille brigands. Les députés des autres villes ne voulurent rien octroyer sans parler à leurs villes, parce qu’apparemment on ne leur avait pas donné pouvoir d’accorder un subside. On ordonna qu’ils s’en retourneraient dans leurs villes et qu’ils enverraient leur réponse avant le lundi qui suit la Trinité. Plusieurs villes envoyèrent cette réponse qui fut, que le plat pays étant détruit par les Anglais et les Navarrais et par les garnisons françaises, elles ne pouvaient accomplir le nombre des 1200 glaives qui avaient été accordés. (Préface du t. iii des ordonnances.)
  4. Les lettres par lesquelles Édouard annonce au clergé d’Angleterre qu’il est résolu à recommencer la guerre, et lui demande l’assistance de ses prières, sont datées du 12 d’août.