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[1379]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

congé au pape et aux cardinaux, et s’en retournèrent à Naples. Depuis ne demeura gaire de temps, que pape Clément imagina en lui même que trop longuement séjourner ès parties de Rome ne lui étoit point profitable, et que les Romains et Urbain travailloient grandement à avoir l’amour des Neapoliens et de messire Charles de la Paix. Si se douta que les chemins ne fussent tantôt si clos par mer et par terre que il ne pût retourner en Avignon où il désiroit à venir ; et la plus principale et espéciale chose qui plus l’inclinoit à retourner, c’étoit qu’il vouloit donner en don, ainsi que reçu l’avoit, au duc d’Anjou, les droits que la roine de Naples lui avoit donnés et scellés. Si ordonna ses besognes bien sagement et secrètement ; et montèrent en mer, il et tous les cardinaux, et leurs familiers en galées et en vaisseaux qui leur étoient venus d’Arragon et de Marseille, le comte de Roquebertin en leur compagnie, un vaillant homme d’Arragon. Si eurent vent et ordonnance de mer à volonté, et arrivèrent sans péril et sans dommage à Marseille[1] dont tout le pays fut grandement réjoui. Et de là vint le pape en Avignon ; et signifia sa venue au roi de France et à ses frères qui en furent tout réjouis. Adonc le vint voir le duc d’Anjou qui se tenoit pour le temps à Toulouse. Si lui donna le pape à sa venue tous les dons dont la roine de Naples l’avoit revêtu. Le duc d’Anjou, qui tendoit toujours à hautes seigneuries et hauts honneurs si retint les dons[2] à grand’magnificence, et les accepta pour lui et pour ses hoirs ; et dit au pape que au plus tôt qu’il pourroit il iroit si fort ès parties par delà, que pour résister contre tous nuisans à la roine de Naples. Si fut le duc d’Anjou avecques le pape environ quinze jours, et puis s’en retourna à Toulouse de-lez la duchesse sa femme ; et le pape Clément demeura en Avignon. Si laissa ses gens d’armes, messire Sevestre Bude, messire Bernard de la Salle et Florimont, guerroyer et hérier les Romains.


CHAPITRE LI.


Comment messire Jean Haccoude fut fait chef de la guerre d’entre le pape Urbain et le pape Clément, et comment le dit Clément fit décoller messire Sevestre Bude, Breton.


En ce temps avoit en la marche de Toscane, en Italie, un vaillant chevalier qui s’appeloit messire Jean Haccoude[3], qui plusieurs grands appertises d’armes y fit et avoit faites en devant ; et étoit issu hors du royaume de France quand la paix fut faite et parlementée des deux rois à Bretigny de-lez Chartres[4]. En ce temps il étoit un povre bachelier. Si regarda que de retourner en son pays il ne pouvoit rien profiter ; et quand il convint toutes manières de gens d’armes vider le royaume de France par l’ordonnance des traités de la paix, il se fit chef d’une route de compagnons qu’on appeloit les Tard venus ; et s’en vinrent en Bourgogne ; et là s’assemblèrent grand’foison de tels routes d’Anglois, Bretons, Gascons, Allemands et gens de Compagnies de toutes nations ; et fut Haccoude un des chefs par espécial, avecques Briquet et Carsuelle, par qui la bataille de Brinay fut faite ; et aida à prendre le Pont-Saint-Esprit[5] avecques Bernard des Forges ; et quand ils orent assez guerroyé et hérié le pays, le pape et les cardinaux, on traita à eux et vers le marquis de Montferrat, qui en ce temps avoit guerre aux seigneurs de Milan[6]. Ce marquis les emmena outre les monts, quand on leur eut délivré soixante mille francs, dont Haccoude en eut à sa part dix mille pour lui et pour sa route. Quand ils eurent achevé la guerre du marquis, les plusieurs retournèrent en France,

    tembre 1378, ne resta pas long-temps à Fondi ; il se retira dans un château voisin, et de là à Naples, d’où il vint en France avec la reine Jeanne. Il y arriva le 10 juin 1379 ; or la plupart des faits rapportés dans le discours de la reine Jeanne sont de beaucoup postérieurs à cette date, et encore plus au séjour du pape Clément VII. On a vu dans les notes précédentes que les autres faits ne sont pas plus exacts.

  1. Clément VII arriva le 25 juin 1379 à Marseille, d’où il se rendit à Avignon.
  2. Le duc d’Anjou ne tint pas ses droits à la succession de la reine Jeanne de Naples de la donation de Clément VII, mais des lettres d’adoption de cette princesse, du 29 juin 1380, confirmées, pour ce qui regardait le royaume de Naples, le 21 juillet suivant, par Clément VII. Mais il est vrai que ce pape, qui avait un grand intérêt à ce qu’un prince français fût adopté par la reine de Naples, ménagea cette adoption en faveur du duc d’Anjou.
  3. Froissart défigure ainsi le nom de John Hawkwood, que quelques chroniques italiennes appellent Aguto, que d’autres traduisent par sa signification anglaise, Falcone in Bosco, et que les chroniques espagnoles nomment Agu.
  4. John Hawkwood sortit de France avec la compagnie anglaise vers 1361.
  5. Voyez Froissart, liv. I.
  6. Voyez Froissart, liv. I.