Page:G. Bruno - Le Tour de la France par deux enfants, 1904.djvu/167

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avait fallu pour produire tous ces cocons plus de vingt milliards de vers à soie.

— Qu’est-ce qui élève tout cela, sais-tu, André ?

Ce sont ordinairement les femmes et les filles des cultivateurs. Les chambres où on élève les vers à soie s’appellent des magnaneries, parce que, dans le patois provençal, on appelle les vers des magnans. Il paraît que dans ces contrées chaque ferme, chaque maison a sa magnanerie, petite ou grande. Les vers sont là par centaines et par milliers, se nourrissant avec les feuilles qu’on leur apporte.

— André, nous verrons peut-être des magnaneries là où nous coucherons ?

— C’est bien probable, répondit André.

Quand le soir fut venu, les enfants demandèrent à coucher dans une sorte de petite auberge, moitié ferme et moitié hôtellerie, comme il s’en rencontre dans les villages. Ils firent le prix à l’avance, et s’assirent ensuite auprès de la cheminée pendant que la soupe cuisait.

Julien regardait de tous les côtés, espérant à chaque porte qui s’ouvrait entrevoir dans le lointain la chambre des vers à soie, mais ce fut en vain.

L’hôtelière était une bonne vieille, qui paraissait si avenante qu’André, pour faire plaisir à Julien, se hasarda à l’interroger, mais elle ne comprenait que quelques phrases françaises, car elle parlait à l’ordinaire, comme beaucoup de vieilles gens du lieu, le patois du midi.

André et Julien, qui s’étaient levés poliment, se rassirent tout désappointés.

Les gens qui entraient parlaient tous patois entre eux ; les deux enfants, assis à l’écart et ne comprenant pas un mot à ce qui se disait, se sentaient bien isolés dans cette ferme étrangère. Le petit Julien finit par quitter sa chaise, et s’approchant d’André, vint se planter debout entre les jambes de son frère. Il s’assit à moitié sur ses genoux, et le regardant d’un air d’affection un peu triste, il lui dit tout bas : — Pourquoi donc tous les gens de ce pays-ci ne parlent-ils pas français ?

— C’est que tous n’ont pas pu aller à l’école. Mais dans un certain nombre d’années il n’en sera plus ainsi, et par toute la France on saura parler la langue de la patrie.