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Page:G. Bruno - Le Tour de la France par deux enfants, 1904.djvu/202

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que vous m’offrez si généreusement, mais il nous faudrait essayer d’emprunter encore à d’autres. Non, cela n’est pas possible. Nous prendrons le bateau, Julien et moi, et nous écrirons dans quelques jours à notre oncle pour lui annoncer notre arrivée. Voyez-vous, mon père me l’a appris de bonne heure : c’est se forger une chaîne de misère et de servitude que d’emprunter quand on peut vivre en travaillant. C’est si bon de manger le pain qu’on gagne ! Quand on est pauvre, il faut savoir être courageux, n’est-ce pas, Julien ?

— Oui, oui, André, répondit l’enfant.

— Un mois, d’ailleurs, est vite passé avec du courage. Dans un mois Julien aura retrouvé ses jambes, notre oncle sera sans doute convalescent ; nous arriverons à Bordeaux avec nos économies au complet et avec ce que j’aurai gagné en plus pendant le mois. Nous pourrons peut-être alors être utiles à mon oncle, au lieu de lui être à charge. Pour cela, nous n’avons besoin que d’un mois de courage ; eh bien ! nous l’aurons, ce courage, n’est-ce pas, Julien ?

André, en parlant ainsi, avait dans la voix quelque chose de doux et d’énergique tout ensemble : la vaillance de son âme se reflétait dans ses paroles. Julien le regarda, et il se sentit tout fier de la sagesse courageuse de son aîné.

— Oui, André, s’écria-t-il, je veux être comme toi, je veux avoir bien du courage. Tu verras : au lieu de me désoler, je vais me remettre à m’instruire, je prendrai mes cahiers et travaillerai sur le bateau comme si j’étais à l’école. Un bateau sur un canal, cela doit aller si doucement que je pourrai peut-être écrire comme en classe. Et puis enfin, je prierai Dieu bien souvent pour que notre oncle se guérisse.

— Dieu t’exaucera, mon enfant, dit le patron Jérôme en embrassant le petit garçon. En même temps, il tendait à André une main affectueuse, et à demi-voix :

— Je vous approuve, André, lui dit-il ; c’est bien, à la bonne heure ! J’ai eu du plaisir à vous entendre parler ainsi. Vous me rappelez les beaux arbres de votre pays, ces grands pins de l’Alsace et du nord dont le cœur est incorruptible, et dont nous faisons les plus solides mâts de nos navires, les seuls qui puissent tenir tête à l’ouragan. Quand la rafale souffle à tout casser, quand tout craque devant elle, elle arrive bien à plier le mât comme un jonc ; mais le rompre,