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Page:G. Bruno - Le Tour de la France par deux enfants, 1904.djvu/237

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— Petit, dit sentencieusement le père Guillaume, chaque métier a ses tracas, et celui de matelot n’en manque point ; mais j’ai choisi celui-là et je m’y suis tenu ; la chèvre broute où elle est attachée. Et puis je suis Normand, moi, et les Normands aiment la mer.

— Tout de même, père Guillaume, moi, j’aimerais mieux les champs que la mer, à cause des tempêtes, voyez-vous.

— Oh ! bien, petit, j’essaierai des champs prochainement.

— Comment ? vous ne serez plus marin, père Guillaume ?

— Non ; ma femme a hérité, du côté de Chartres, d’un petit bien sur lequel nous ne comptions pas : nous nous installerons à mon retour dans son héritage. Cela l’ennuie, la pauvre femme, et mes filles aussi, de me savoir toujours au péril de la mer. Même elles auraient bien voulu que je ne fisse point cette dernière traversée, et par le plus mauvais temps de l’année. Le fait est que nous avons une mer qui a déjà failli nous jouer un mauvais tour et qui n’est pas encore bien calmée.

— Et vous, vous avez préféré faire la traversée, père Guillaume ? Vous aimez joliment la mer, tout de même.

— Oh ! je ne me souciais guère de la mer, petit, mais on ne fait pas toujours comme on veut. Moi qui n’ai jamais été propriétaire, j’aurais été enchanté d’essayer tout de suite ce nouveau métier-là ; aussi j’ai demandé au capitaine de me laisser m’en aller. « Guillaume, m’a-t-il dit, tu sais bien que tu m’avais promis de venir : je comptais sur toi, et il m’est impossible en ce moment de trouver un bon pilote pour ce dernier voyage. Mais nous n’avons pas d’engagement par écrit, tu es donc libre ; tant pis pour moi qui n’ai que ta promesse et qui ne t’ai rien fait signer. » — « Ah ! bien, capitaine, ai-je répondu, vous pensez donc que ma parole ne vaut pas tous les écrits ? Puisque vous ne pouvez vous passer de moi, je reste. » Et je suis resté.

Julien poussa un gros soupir. — Eh bien, dit le marin, que soupires-tu comme cela ?

— Dame, je songe, qu’à votre place, j’aurais eu grande envie de m’en aller, moi ! Avoir des champs à soi qui vous attendent, et venir ici s’exposer à des tempêtes comme celle de l’autre jour ! C’est tout de même bien dur, quelquefois, de tenir les paroles données.