Page:G. Bruno - Le Tour de la France par deux enfants, 1904.djvu/256

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couvertes par les voix en révolte qui répétaient pour s’encourager : — C’est notre droit, c’est notre droit.

Alors le vieux pilote Guillaume, s’avançant vers les matelots : — Au moins, dit-il, sauvez cet enfant.

Et il voulut prendre Julien dans ses bras pour le leur passer ; mais le petit garçon s’accrocha résolument au cou d’André : — Je ne veux pas être sauvé sans mon frère, dit-il, je ne le quitterai pas.

A travers le bruit terrible de la tempête on entendit pour toute réponse ce cri égoïste et sauvage des matelots : — Qu’il reste alors ! chacun pour soi.

Les instants pressaient. L’oncle Frantz se dirigea vers le petit canot. — Viens, André, dit-il, et apporte-moi Julien.

En parlant ainsi la voix de Frantz tremblait, comme celle d’un homme qui songerait qu’il va emmener à une mort presque certaine ce qu’il a de plus cher au monde : car Frantz connaissait mal la côte, et le canot était si fragile qu’il paraissait impossible qu’il résistât aux lames.

Au même moment la voix vibrante du pilote Guillaume retentit :

— Attendez-moi, Frantz, s’écria-t-il ; ce n’est pas moi qui abandonnerai deux enfants et un ami en péril. Nous nous sauverons tous, Frantz, ou nous mourrons ensemble.

Puis, s’adressant au capitaine qui, irrésolu, ne savait dans quelle embarcation sauter : — Capitaine, ma place est ici, la vôtre est avec vos hommes, partez ; je me charge du canot.

Le capitaine se dirigea vers la chaloupe ; l’instant d’après elle avait disparu s’éloignant dans l’horizon noir, et le vieux pilote était seul dans le canot avec Frantz et les enfants.



XCIX. — La nuit en mer.


Comment nous acquitter du bien qu’on nous a fait ? En faisant nous-même du bien à tous ceux qui ont besoin de nous.


Le canot était si léger qu’il semblait que la première vague eût dû l’engloutir, mais il bondissait sur la cime du flot pour retomber l’instant d’après dans le sillon que le flot laisse derrière lui. Le pilote tenait le gouvernail ; l’oncle Frantz et André maniaient chacun une rame d’une main vigoureuse.

Chaque vague envoyait en passant dans le canot ces flaques d’eau que les marins appellent des paquets de mer, et le canot n’eût pas tardé à être submergé si Julien, les pieds dans l’eau,