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HISTOIHE DU CANADA.

les ennemis les plus naturels de cette nation, parce que c’est chez eux que se sont établies les manufactures et qu’existe maintenant la véritable rivalité avec l’Angleterre. Aussi il n’y a plus aujourd’hui à craindre de dissolution pour la raison commerciale, parce qu’il s’établit tous les jours de plus en plus entre le sud et le nord des rapports d’intérêt qui les rapprochent.

Au reste les Américains ne chercheront guère à acquérir le Canada malgré le vœu de ses habitans. La dépendance coloniale ne paraît pas à leurs yeux un état naturel qui doive toujours durer, et la conduite des métropoles elles-mêmes indique assez qu’elles ont aussi le même sentiment sur l’avenir. Cette éventualité préoccupe la politique et les historiens de l’Angleterre ; mais ni ses philosophes, ni ses hommes d’état ne peuvent s’affranchir assez de leurs préjugés métropolitains pour porter un jugement correct et impartial sur ce qu’il faudrait faire pour conserver l’intégrité de l’empire. De quelque manière qu’on envisage cette question, la solution paraît difficile, car la métropole ne peut consentir à permettre aux colonies d’exercer la même influence sur son gouvernement que les provinces qui la constituent elle-même, et à leurs députés de siéger à Westminster Hall à côté des siens en nombre proportionné à la population, car il viendrait un temps où la seule population du Canada, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse excéderait celle de l’Angleterre, et si on y joignait la population de toutes les autres colonies, la représentation coloniale deviendrait la majorité, et l’Angleterre passerait du rôle de métropole à celui de dépendance, et recevrait la loi comme telle. Cette alternative qui arriverait indubitablement est supposée ici pour montrer avec plus de force les obstacles que rencontre le système colonial à mesure qu’il vieillit et que les populations s’accroissent. La séparation doit donc paraître une chose inévitable malgré le désir que l’on pourrait avoir des deux côtés de l’éviter. Il ne reste à la politique, dans ce cas, qu’à travailler à reculer l’événement, et lorsque l’événement arrivera, qu’à affaiblir le plus possible le mal qu’il sera de nature à causer aux deux parties. Mais c’est là la prévoyance qui manque presque toujours aux métropoles quand le temps vient de lâcher graduellement les rênes des jeunes coursiers qui essaient leurs forces et qui brûlent de s’élancer dans la carrière avec toute l’indépendance