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HISTOIRE DU CANADA

ne doivent pas en vouloir trop à leur ancienne mère-patrie, car la perte de la noble colonie du Canada fut une des causes déterminantes de la révolution, et l’univers sait quelle vengeance cette nation polie et fière a exercé sur tous ceux qui avaient la main de près ou de loin au timon de l’état qui nous abandonnait au moment du danger.

Malgré toutes les tourmentes passées déjà sur le Canada, quelques centaines de colons français ; car nous craindrions d’exagérer en disant quelques milliers, avaient atteint le chiffre fort peu important en Europe de 60,000 âmes environ au jour de la conquête. Aujourd’hui après 90 ans, ce chiffre atteint 700,000,[1] et cet arbre s’est accru de lui-même, sans secours étranger, dans sa propre foi religieuse, dans sa propre nationalité. Pendant 150 ans il a lutté contre les colonies anglaises trente à quarante fois plus nombreuses sans broncher d’un pas, et le contenu de cette histoire nous dit comment il s’acquittait de son devoir sur le champ de bataille.

Quoique peu riche et peu opulent, ce peuple a montré qu’il avait conservé quelque chose de la grande nation dont il tire son origine. Depuis la conquête sans se laisser distraire par les philosophes ou les rhéteurs sur les droits de l’homme et autres thèses qui amusent le peuple des grandes villes, il a fondé sa politique sur sa propre conservation, la seule base d’une politique recevable par un peuple. Il n’était pas assez nombreux pour prétendre ouvrir une voie nouvelle aux sociétés, ou se mettre à la tête d’un mouvement quelconque à travers le monde. Il s’est resserré en lui-même, il a rallié tous ses enfans autour de lui, et a toujours craint de perdre un usage, une pensée, un préjugé de ses pères malgré les sarcasmes de ses voisins. Le résultat c’est que jusqu’à ce jour, il a conservé sa religion, sa langue, et bien plus un pied à terre à l’Angleterre dans l’Amérique du Nord en 1775 et en 1812. Ce résultat quoique funeste à la république des États-Unis, à ce qu’il aurait paru au premier abord, n’a peut-être pas eu les mauvaises suites qu’on aurait pu en appréhender. Le drapeau royal anglais flottant sur la citadelle de Québec a obligé la jeune république d’être grave, de se conduire avec prudence,

  1. Le recensement de cette année porte la population canadienne française à 695,943 âmes.