Page:Goncourt - Sophie Arnould.djvu/42

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fille comtesse ; que dis-je ? duchesse, — le vieux duc de Lauraguais décédé. Aussi la première entrevue de la mère et du ravisseur se passa-t-elle fort bien. Mme Arnould arrivait les mains pleines de pardon, et l’air soutenu de la dignité convenable à la belle-mère future d’un tel gendre ; Sophie l’embrassa, et fut embrassée et pardonnée.

La chaîne commençait comme les chaînes commencent, nouée de fleurs. M. de Brancas était toujours Dorval, Sophie était encore la Sophie de l’hôtel de Lisieux. L’amour ne fit jamais plus beau roman. Et que dire ? Les peuples heureux n’ont pas d’histoire : de pareils couples, bien moins encore. peine si Mme de Brancas parvenait à mettre quelques nuages au front de l’amant de Sophie. Pourtant elle était une femme spirituelle, en excellente posture de se venger, aimant M. de Brancas comme son mari, sans passion et avec sang-froid, irréprochable par-dessus cela, et fort digne de n’être point trompée. C’était entre elle et Dorval une guerre qu’elle faisait avec une malice exquise et distraite, des allusions qu’elle laissait tomber, des interrogations d’une courtoisie méprisante et railleuse, des retraites soudaines en sa dignité, des demi-mots et des sourires qui mettaient le ridicule du côté du comte. Elle lui demandait, d’un de ces tons légers qui n’appuient pas, des