Page:Goncourt - Sophie Arnould.djvu/55

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Imaginez ce que pouvait être l’amour chez un pareil homme[1] : le soleil dans une giboulée ! les adorations à mains jointes et, tout à côté, des froideurs, des querelles, des insultes, des menaces ; un bonheur ballotté de jour en jour, d’instant en instant ; des prières, des oublis, des pardons scellés d’embrassades, où tout à coup éclataient les irritations et les ennuis du comte, pris entre l’opinion publique et sa maîtresse, entre un mariage auquel il manquait l'amour et un ménage auquel il manquait le contrat ; puis, après les pleurs, un nouveau rire, et le livre de leurs amours repris aux plus belles pages ; des gronderies encore, des mots empoisonnés, des fureurs, toutes les jalousies de l’Orient, — à Paris ! en ce siècle ! — des brutalités jusqu’à battre et à mordre ; des intermittences de cœur, des indifférences, des dédains, des ravissements des yeux, de la tête et des sens

  1. Le Chansonnier historique (recueil Maurepas-Clairambault), en 1758, au commencement des amours du comte de Lauraguais avec Sophie, prête au comte cette épître follement amoureuse, épître portant le titre : Adieu à la guerre, et dans laquelle le gentilhomme, glorieusement blessé au combat de Crevelt, disait abandonner la carrière des armes :

    Apollon peut rayer mon nom de son grimoire.
    Non, les neuf filles de mémoire
    Ami, n’en valent pas une de l’Opéra.
    Aux hommes comme nous, on n’en fait point accroire,
    J’abandonne Mars pour l’Amour :
    Entre les bras d’Arnould j’aime mieux vivre un jour
    Que mille et mille ans dans l’histoire.