Page:Goncourt - Sophie Arnould.djvu/62

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cette paire de cerveaux et de cœurs brûlés, ne s’aimaient jamais mieux que de loin. Les séparations, l’absence, renouaient leur chaîne. Que M. de Lauraguais fasse, avec sa lettre sur l’Inoculation, refermer sur lui les portes de la citadelle de Metz, — voilà Sophie, tout en traitant fort humainement MM. de Monville et de Bougainville, voilà Sophie, enflammée par cette disgrâce et cet éloignement, la plus dévouée des amantes, la plus infatigable suppliante ; et ce que les sollicitations de la haute et puissante famille du duc, de sa femme, n’avaient pu emporter, voyez-le ravir par cette comédienne qui, dans l’émotion d’un public de cour charmé et entraîné, va, le costume d’Isménie encore sur le dos, se jeter aux pieds du duc deChoiseul, et lui arrache, d’un regard où elle a mis son âme, cette grâce refusée[1]!

Et croyez que tout n’était pas misère dans le tête-à-tête de Sophie et de Lauraguais. Il y avait

  1. Arnoldiana. — Une note de Millin dit : « M. Deville a été mal informé. Après la représentation de Dardanus, M. de Ghoiseul entra dans la loge de Mlle Arnould, la complimenta et l’assura qu’elle avait fait le plus grand plaisir au Roi : Eh bien, reprit-elle, dites à Sa Majesté que, si elle est contente d’Isménie, elle lui rende Dardanus ! » M. de Lauraguais fut libre quelques jours après. — Un volume manuscrit de nou vellesà la main de la bibliothèque Mazarine dit : « M. le comte de Lauraguais a cru devoir rendre hommage de sa liberté et son auteur, en lui donnant les premiers jours de son retour Pour ne pas troubler ses plaisirs, la comtesse de Lauraguai : s’est retirée dans un couvent. »