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leur amour, — et ce qui leur resta de l’amour quand l’amour ne fut plus de leur âge.

XVI


Comment le saisir et le dire, cet esprit de Sophie Arnould ? Il était impromptu, courant, volant : — une envolée de guêpes ! Il était une pensée, un mot, un éclair. Il était l’esprit de Paris, de la Comédie, d’une femme et d’une fille[1] foulant aux pieds les étiquettes de la parole, à l’aise partout et avec tous, et soumettant les

  1. « J’ai dit plus haut que Mlle Arnould était reçue partout parce qu’elle se mettait au niveau de son état et ne voulait être qu’une actrice et, comme on disait alors, une fille d’Opéra. Je me souviens d’avoir été chez elle à un brillant souper, où étaient le prince d’Hénin, le prince de Ligne, le vicomte de Ségur, enfin tous les agréables de la cour, les filles les plus célèbres : Duthé, Carline, Dervieux, Thevenin ; puis Chamfort, Barthe, Rulhière, etc. Ces demoiselles faisaient les dames : on eût dit que c’étaient des princesses. Mlle Arnould, d’une voix ferme, en parlant d’une chose qui convenait à des femmes de qualité ajouta : « Mais pour nous, Mesdames, nous « sommes des p… cela est différent. » Il aurait fallu les voir mettre le nez dans les serviettes, en s’écriant qu’elle était trop mauvaise compagnie. Elle savait pourtant bien aussi établir la différence entre elle et ces dames. Ce soir même, on dansa après le souper. Mlle Thevenin, que Sophie avait surnommée l'Œil de bœuf, à cause de ses yeux ronds, et qui était figurante à l’Opéra, se mit à rire de la manière de danser de Mlle Arnould : « Vous trouvez que je danse mal, lui « dit Sophie, songez que mes parents m’ont donné des talents, mais ils ne m’ont pas appris le métier ! » (Note de l'Arnoldiana annoté par Millin.)