Page:Goncourt - Sophie Arnould.djvu/65

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plus nobles oreilles au langage familier de la nature sans toilette. Il était une massue et une malice. Il enfermait une larme dans un lazzi, une idée dans un calembour, un homme dans un ridicule. Du sublime de la gaminerie, il allait à l’exquis du goût, du gros sel à l’ironie divine, de l’Opéra à Athènes. Jamais au monde si merveilleuse machine à mots que cette Sophie ! et si bien dotée et si bien armée ! Elle-même comparait sa tête à un miroir à facettes[1] . Que d’étincelles et de flammes ! Quelle soudaineté ! et que d’éclaboussures sur tout son temps !

  1. Sophie, après avoir cherché à donner une idée de la rapidité de sa conception et avoir comparé son esprit à un miroir à facettes qui lui fait voir instantanément un être, une chose ou un mot sous tous les jours possibles, racontait sur elle-même cette anecdote :

    « Cette facilité de mon esprit me fit longtemps rechercher dans le monde,mais, comme toutes mes épigrammes ne se bornaient pas. ’à être facétieuses ou divertissantes, il m’arrivait quelquefois de lancer des traits plus aigus. J’eus lieu de m’apercevoir que ma fécondité me rendait redoutée ou redoutable. Je me mourais d’envie de voir le Roi et d’en être au moins remarquée. Un grand seigneur me conduisit à Versailles et, dans le salon du Grand Couvert, me plaça vis-à-vis de Sa Majesté. Le Roi, qui ne m’avait pas encore aperçue, me reconnut au moment où il portait son verre à sa bouche, Je dis à mi-voix cette parole inconsidérée : « Le Roi boit ! » Louis XV, qui se connaissoit mieux que personne, crut que de ma part cette parole était une épigramme contre lui, et se troubla visiblement, au point que tout le monde s’en aperçut. Un léger signe de sa main indiqua ma retraite. On est trop malheureux avec trop d’esprit. » (Morceaux détachés du supplément aux Mémoires de Sophie Arnould de la collection de M. A.-J. Doucet.)