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ÉPICURE

Après les honneurs, les richesses. Le sage, nous le savons, n’a besoin que de pain et d’eau pour être heureux ; « il méprise les plaisirs du luxe, non sans doute pour eux-mêmes, mais pour les peines qui les accompagnent[1]. » « Souvent l’acquisition des richesses, dit Epicure, est un changement de misères et n’en est pas le terme. Voulez-vous enrichir Pythoclès ? écrit-il encore, n’ajoutez point à ses richesses, ôtez à ses désirs[2]. » « C’est une grande fortune que la pauvreté réglée sur les lois de la nature[3]. » On sait qu’Epicure et ses disciples donnèrent l’exemple de cette pauvreté savante. « Leur vie, dit Diogène de Laërte, était d’une simplicité et d’une sobriété excessives ; un cotyle de petit vin leur suffisait ; et quant à l’eau, ils se contentaient de la première venue. » Dans une lettre à un ami, Epicure lui dit : « Envoie-moi du fromage de Cythère, afin que je puisse faire grande chère, quand je le voudrai[4]. » Une autre fois, écrivant à Polyène, il se vante de ne pas dépenser un as pour sa nourriture, tandis qu’à Métrodore, moins avancé que lui, l’as entier est nécessaire[5]. — Cependant il serait bien étrange que, même à son début, l’utilitarisme, cette sorte d’économie morale qui fait de la vie une bourse et du bonheur une richesse, n’eût attaché aucune importance au gain matériel, alors qu’il en attachait tant au gain moral. Aussi Epicure, tout en soutenant que le sage peut se passer des richesses, lui conseille-t-il de ne pas toujours les dédaigner, de songer à sa fortune, d’amasser pour la vieillesse[6] : ne saura-t-il pas d’autant mieux jouir des richesses qu’il sait mieux s’en passer[7] ? Donc le sage tirera profit de sa sagesse, épargnera, mènera à bien ses affaires[8]. Il ne doit pas mendier, comme fai-

  1. Stob., Serm., xvii, 30.
  2. Sen., Epist., xxi.
  3. Sen., ibid. Φιλοσόφῳ δ᾽ἐστὶ πλούτου μικρόν, dit également l’épicurien Philodème. (De vit., ix, col. 12.)
  4. Diog. Laërt., x, 10, 11.
  5. Senec., Epist., xv.
  6. Diog. L., x, 119, 120, 121 : Κτήσεως προνοήσεσθαι καὶ τοῦ μέλλοντος.
  7. Epic. ap. Senec., ibid.
  8. Χρηματίσεσθαι ἀλλ᾽ ἀπὸ μόνης σοφίας ἀπορήταντα. Ibid. — Philodem., De vit., ix, col. 12 ; 27, 40.