Page:Guyot - L'Inventeur.djvu/164

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crainte du ridicule. La plupart sont atteints d’une maladie que M. de la Lantlellc a appelée la poltronnerie française, maladie que nous avons en effet au plus haut degré, mais que nous ne sommes pas, il faut le dire, les seuls à ressentir. Aussi l’invention n ’est-elle accueillie que par l’indifférence ou les huées et les sifflets.

Les deux grandes classes des rétrogrades et des conservateurs l’arrêtent.

Curieux sont les hommes qui les composent, et ils valent bien la peine qu’on les considère un moment.

Les rétrogrades invoquent sans cesse le bon vieux temps ; les plus hardis remontent jusqu’au temps où l’on avait le bonheur de manger des glands, ce qui devait les constiper effroyablement, et de vivre tout nus ; mais ceux-ci sont des exceptions ; il faut être Baudelaire pour le soutenir sérieusement et se fâcher si on le contredit. Le vrai rétrograde remonte à deux ou trois cents ans ; il évoque le beau siècle de Louis XIV ; il parle de ses bonnes mœurs, et en les comparant aux nôtres, il s’écrie : ô tempora ! ô mores ! Il aime mieux la chandelle que le gaz, sans cependant suivre l’exemple de la Meilleraye ; il préfère les vieilles routes décrites par madame de Sévigné et Young aux chemins de fer, les courriers au télégraphe ; la révocation de l'édit de Nantes à la liberté de conscience ; la roue à la guillotine.

C’est un misanthrope haïssant tout ce qu’il voit, pleurant sur les misères du présent et vantant le bonheur passé ; un Timon du moderne, un Pangloss du vieux temps.

Il y a de vieux marins qui déplorent l’invention de la vapeur, sous prétexte qu’elle tue le vrai matelot, qu’elle empêche toutes ces savantes manœuvres qui constituaient la vraie habileté du métier.

Il y a de vieux officiers qui ont lu tous les mémoires des grands capitaines du passé ; ils les admirent et avec raison ; mais leur admiration n’a pas de bornes ; ils ont sans cesse les noms de Turenne ou de Condé à la bouche, voire même