Page:Guyot - L'Inventeur.djvu/290

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Qui a fait la grandeur d’Arago ? Ce ne sont pas, croyez-le bien, ses savants calculs, ses hautes spéculations scientifiques : ce sont ses tendances à populariser la science, à la répandre, à la faire comprendre par tous, à montrer quelle utilité elle peut avoir dans la pratique ; c’est son ardeur à soutenir le progrès, quoique quelquefois lui-même ait été atteint du mal caduc épidémique parmi les académiciens.

Mais quant à vous, savants, qui avez passé votre vie à faire des logarithmes, à résoudre des problèmes, à vous lancer dans des spéculations abstraites, qui vous connaît ? qui vous aime ? qui vous salue avec vénération quand vous passez ? qui vous presse la main ? qui vient vous accompagner jusqu’à la tombe, en disant :

Ce fut un grand homme !

Et cela est de toute justice : vous avez voulu vous séparer du monde ; vous avez oublié que dans la science comme en tout, le vrai n’est rien sans l’utile ; vous avez cru que la théorie de l’art pour l’art existait encore, tandis que le plus grand de ses apôtres, Victor Hugo lui-même, a proclamé sa mort ; vous vous êtes entourés de nuages et vous n’avez pas voulu montrer votre visage, quoi d’étonnant à ce que personne ne vous connaisse ? Vous vous êtes enfermés dans un cloître, où vous avez végété sans avoir nul rapport avec nous, pourquoi donc aurions-nous de la sympathie pour vous ? Vous n’êtes pas un de nos frères, nous ne vous connaissons pas ; vous n’avez pas combattu avec nous. Quand Geoffroy Saint-Hilaire a dit à l’Académie des sciences : « La question sociale est la première dont il soit nécessaire de s’occuper aujourd’hui ; » il n’a éveillé nul écho sous les voûtes de l’Institut. Sa phrase même n’a pas été comprise, le mathématicien haussant les épaules quand on vient lui parler de progrès, de liberté et d’humanité, choses qui nous font battre le cœur, à nous autres ignorants, qui sommes des hommes. Quand donc les savants comprendront-ils que « la science