Page:Haag - Le Livre d’un inconnu, 1879.djvu/70

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Puis un étroit sentier, fondrière en hiver,
Dont le bourbeux sillon longe un chemin de fer.
Là c’est la nuit, la nuit farouche qui commence :
Entre des murs très bas, dans l’ombre et le silence
Je m’enfonce, je vais, mais d’un pas incertain,
Trébuchant et cherchant ma route, quand soudain
M’apparaît, déchirant l’obscurité profonde,
Le cordon lumineux de la route de ronde.
C’est le rempart, c’est là que la ville finit ;
Et voici justement l’endroit que de mon lit
J’aperçois : ô pouvoir singulier, ô mirage
De mon rêve évoquant cette lointaine image !
Suis-je ici, suis-je là ? je crois voir et toucher
Les objets : je me sens respirer et marcher ;
L’air vif et pur vient battre mon front ; je discerne
Dans l’ombre le talus ondoyant de luzerne ;
Un banc est là devant ce sentier d’où je viens ;
Le vent gémit et dans les fils aériens
J’entends confusément chanter des voix de harpe :
Lieu sinistre où la nuit rôde le pâle escarpe,
Sortant d’un mauvais lieu, prêt pour un mauvais coup.
Ah ! je sens que mon sang se glace tout à coup,
Je songe — car l’horreur de ce lieu me pénètre —
Que là-bas sous mes yeux, dans cet instant peut-être,