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Page:Hauvette - Littérature italienne.djvu/156

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vision ne lui était pas destiné. Partout les traits de cette femme le poursuivaient, pour le consoler tour à tour et le désespérer ; car entre le rêve de félicité qu’il ne cessait de caresser, et la réalité trop prompte à dissiper ces douces chimères, le contraste était douloureux, déchirant. Ainsi s`expliquent les accès de mélancolie que les Rime décrivent si poétiquement, ce besoin de fuir la société des hommes et de se réfugier dans la solitude, ou au contraire la peur de se trouver face à face avec soi- même, et parfois les idées de suicide qui l’obsèdent. Et ce n’est pas tout : à ces causes de mécontentement et d`inquiétude s’ajoutaient les scrupules religieux de Pétrarque, le désir d’arracher son cœur aux passions terrestres pour le tourner vers Dieu.

Cependant Laure meurt le 6 avril 1348, vingt et un ans jour pour jour après la première rencontre ; et aussitôt après l’explosion de douleur que provoque cette séparation, tout s’apaise et s’harmonise dans le cœur de Pétrarque. Il se sent libre enfin d’aimer sans péché, sans remords, et d’idéaliser, sans que rien fasse obstacle à ses rêves, celle qui l’a si longtemps troublé. Des lors il vit par l'imagination; il se forge une félicité conforme à ses aspirations, et jamais Laure, dans ses vers, n’a été plus humaine, plus touchante, plus vivante même ; jamais Pétrarque ne lui a plus complètement appartenu. Nouvelle Béatrice, elle veille du haut du ciel sur son poete ; et souvent elle vient le visiter pendant son sommeil, le consoler, essuyer ses larmes, lui montrer le chemin du ciel ; car elle l`aime, et ses froideurs n’ont été que des artifices destinés à sauvegarder la pureté de leur amour. Même ainsi idéalisée, Laure n’est pourtant pas Béatrice : plutôt que la science divine, elle figurerait la beauté et la bonté célestes ; elle s’adresse moins à l'intelligence