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PROLÉGOMÈNES


partie du chiffre qu’on allègue. Mais cela tient au penchant de l’esprit humain pour l’exagération, à la facilité avec laquelle ce sentiment influe sur la langue, et à l’indifférence des historiens pour les résultats déjà constatés par un examen approfondi. Ils n’essayent pas de reconnaître les erreurs dans lesquelles ils peuvent tomber, soit par mégarde, soit par intention; ils ne cherchent pas à garder le juste milieu dans un récit, ni à lui faire subir un examen critique; au contraire, ils lâchent la bride à leur langue, pour la laisser courir dans les champs du mensonge : On achète les discours frivoles afin d’égarer les hommes loin du sentier de la vérité (Coran, sour. xxxi, v. 5), et c’est là, il faut l’avouer, un marché bien désavantageux.

On peut toutefois répondre à ce qui précède en disant que, si partout ailleurs l’expérience habituelle n’admet pas l’accroissement aussi rapide d’une seule famille, il n’en est pas de même à l’égard des enfants d’Israël : chez eux cette multiplication était l’effet d’un miracle, Dieu ayant révélé à leurs pères, les prophètes Abraham, Isaac et Jacob, qu’il multiplierait leur race au point qu’elle égalerait en nombre les étoiles du ciel et les cailloux de la terre. Or Dieu aurait accompli sa promesse envers eux par l’effet d’une grâce extraordinaire et par un prodige surnaturel. Donc les événements ordinaires ne militent pas contre ce récit, et personne ne devrait le taxer de fausseté. Si l’on voulait l’attaquer en alléguant qu’il est rapporté dans le Pentateuque, et que ce livre, ainsiP. 13. qu’il est constant, a été altéré par les Juifs, on peut répondre que cette opinion, bien qu’elle paraisse d’abord assez plausible, n’a aucune valeur aux yeux des critiques les plus capables ; car l’expérience démontre que les hommes des diverses religions n’ont jamais agi de cette manière relativement à leurs livres théologiques, ainsi qu’El-Bokhari le déclare dans son Sahih[1]. Or cette multiplication extraordinaire qui eut lieu chez les enfants d’Israël était un prodige en dehors du cours de la nature, et, chez
  1. Abou Abd-Allah Mohammed el-Bokhari, auteur du célèbre recueil de traditions intitulé Es-Sahîh (l’Authentique) ou El-Djamé’s-Sahîh (le Recueil authentique), est mort l’an 256 de l’hégire (869-870 de J. C.).