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344 PROLÉGOMÈNES

ration qui les remplace, ayant été élevée dans la dégradation, se figure que la solde dont le sultan la gratifie est la juste rétribution du service qu'elle lui rend en le soutenant par les armes et en protégeant le territoire de l'empire. Elle ne le comprend pas autrement. Dans cette race déchue, on trouve rarement un individu qui accepte une solde avec la pensée que cela l'oblige à risquer sa vie; aussi l'empire s'af- faiblit et, en perdant les forces qu'il tenait de l'esprit de corps, il s'engage dans une voie qui mène à la décadence et à la décrépitude. En second lieu, il est dans la nature des choses que le luxe s'in- troduise dans un empire, ainsi que nous l'avons déjà exposé. On prend de plus en plus les habitudes du faste, on dépense au delà des traitements, le revenu devient insuffisant, les pauvres meurent d'indigence, les riches dissipent leurs émoluments en dépenses P. 3o3. de luxe, et cet état de choses s'empire de génération en génération, jusqu'à ce que les traitements deviennent insuffisants. On com- mence alors à sentir les atteintes du besoin; le sultan ordonne aux officiers de réserver leurs moyens pour les frais des expéditions militaires, et, comme ils ne le peuvent pas, il les punit, saisit les revenus assignés à la plupart d'entre eux, se les approprie, ou les donne à ses enfants et à ses protégés. Cela rend impossible aux offi- ciers de remplir leurs devoirs et alfaiblit ainsi la puissance du maître de l'empire.

De plus , lorsque le luxe a fait de grands progrès dans une nation et que les traitements deviennent insuffisants, le chef de fÉtat, c'est- à-dire, le sultan, se voit forcé de les augmenter, afin de tirer d'em- barras ses employés et de réparer les brèches faites à leur fortime. Or fimpôt produit une somme fixe que f on ne saurait augmenter ni dimi- nuer, et faccroissement que Ton voudrait lui donner en établissant des impôts extraordinaires a aussi une limite infranchissable. Si l'on veut consacrer les revenus de FEtat à la solde de f armée , et qu'on aug- mente cette solde afin de remédier aux embarras dans lesquels les militaires se sont jetés par leurs habitudes de luxe et de dépense, on commencera par diminuer le nombre des troupes.

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