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Page:Jannet - Le capital, la spéculation et la finance au XIXe siècle, 1892.djvu/107

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autorisé toutes les fois qu’il s’agissait d’un crédit fait en vue de la production ; car la légitimité du fameux trinus contractus avait fini par être reconnue par la grande majorité des canonistes[1].

Même auparavant, l’application du titre extrinsèque du damnum emergens permettait à tous les intermédiaires qui rendaient des services de banque et de change de percevoir une rémunération proportionnelle à l’importance des capitaux qu’ils maniaient et aux risques qu’ils couraient[2]. Dès le xiiie siècle, ils donnèrent à cette rémunération le nom d'in­teresse et cette expression s’est substituée dans la langue à celle de fœnus ; car c’est par cette manière nouvelle d’envisager les choses que la pratique arriva à se dégager de la fausse notion mise en circulation par Aristote.

Quelques esprits excessifs ont prétendu voir dans les décisions des congrégations romaines, qui ont pratiquement autorisé la perception de l’intérêt depuis 1828 et 1830, une [fin page86-87]

  1. Dès le treizième siècle, cette combinaison était discutée dans les écoles et elle triompha définitivement au commencement du seizième. Elle consistait à décomposer le prêt à intérêt en trois contrats successifs : — 1° une société à profits et pertes communs entre un capitaliste et un commerçant ; — 2° une assurance du capital ; — 3° un forfait pour les profits. Or, cette analyse répond parfaitement à la réalité, quand il s’agit d’un prêt d’affaires, en d’autres termes du crédit à la production, qui est tout différent du crédit à la consommation. De plus en plus cette distinction tendit à pénétrer dans les idées et dans la pratique, et le mérite des théologiens, comme Ange de Chiva, Gabriel Biel, Jean Eckius et surtout du canoniste Navarra fut d’y adapter leur enseignement. Quant à la distinction entre le prêt fait à un marchand et celui fait à une autre personne, qui à partir du xvie siècle commence à être faite par tous les jurisconsultes attentifs aux faits économiques, nous savons qu’elle n’est pas admise par l’encyclique Vix pervernit de Benoît XIV. Cela n’a pas empêché le cardinal de la Luzerne de la reprendre dans son ouvrage : Du prêt de commerce. Mais l’admission du trinus contractus équivalait en fait, dans la plupart des cas, à cette distinction. Seulement il fallait, pour qu’on pût appliquer cette fiction juridique, que l’intérêt perçu dans le prêt de commerce en question : — 1° ne dépassât pas l’évaluation des bénéfices dont on traitait ainsi à forfait ; — 2° que l’assurance du capital fût payée à son juste prix, en d’autres termes que l’intérêt fût en proportion de la productivité du capital et des risques courus. Cette double restriction a bien son importance ; car elle empêche en conscience d’abuser de la position malheureuse d’un emprunteur, même en matière de commerce.
  2. Ainsi le taux énorme de l’intérêt dans les prêts faits aux halles pour la journée aux revendeurs ambulants se justifie à la fois par le periculum sortis, et par la peine qu’a le prêteur pour apporter son argent et le recouvrer, par ce que les anciens appellaient l’interesse et les modernes la commission. Les réclamations des emprunteurs, quand on a voulu empêcher ces opérations, ont montré qu’elles étaient avantageuses aux deux parties.