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Page:Jannet - Le capital, la spéculation et la finance au XIXe siècle, 1892.djvu/26

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des capitaux et à une meilleure combinaison des forces humaines. La suppression des jachères et la culture intensive ont partout marché de pair avec l’introduction de ces produits de luxe. Il est parfaitement vrai que la formation de nouveaux capitaux est la condition sine qua non du développement de l’agriculture, du commerce et des manufactures.

L’économie politique a fait justice d’un autre préjugé aussi répandu que celui contre lequel nous nous élevons et qui voyait dans le luxe la source de l’accroissement de la richesse générale. Il est l’effet, non la cause. Ceux qui épargnent sont plus utiles à la société que ceux qui consomment, ceux qui capitalisent que ceux qui dépensent. C’est bien certain ; mais dans les choses humaines les causes et les effets s’enchaînent et, en fait, le désir d’augmenter ses jouissances, la possibilité d’y arriver sont le grand stimulant à la constitution de nouveaux capitaux. Or, c’est là l’intérêt majeur d’une société en voie de progression ; l’augmentation de la population en dépend absolument[1].

  1. Il est toutefois deux cas dans lesquels la consommation des produits de luxe diminue les moyens d’existence des classes inférieures :— 1° quand les riches dépensent tous leurs revenus sans constituer de nouveaux capitaux par l’épargne ; car il ne suffit pas que des produits soient demandés sur le marché pour que des manufactures s’élèvent et que les ouvriers travaillent ; il faut que les entrepreneurs trouvent des capitaux abondants et à bon marché, sinon l’industrie ne se développe pas. C’est le cas des nations pauvres où le luxe des riches contraste avec la misère et l’inertie générales ; — 2° lorsque les produits de luxe consommés viennent de l’étranger ou que les propriétaires dépensent au loin les produits du sol, le pays est peu à peu épuisé. Le goût des Romains pour les épices, la soie et les pierres précieuses de l’Inde, contribua beaucoup à ruiner l’Empire. Au siècle dernier et au commencement de celui-ci les nobles russes et polonais, qui possédaient presque tout le territoire, offraient des débouchés aux manufactures de la France et de l’Angleterre ; mais c’était aux dépens des habitants de leurs terres, dont ils retiraient des fermages et qu’ils laissaient privés d’emplois industriels. La fameuse maxime des économistes : les produits s’échangent contre des produits ; ou encore : un peuple ne peut pas acheter plus qu’il ne vend, n’est pas d’une application universelle ; il est des conditions sociales dans lesquelles une partie des produits achetés à l’étranger est soldée avec des épargnes et des capitaux. Un peuple, comme un individu, peut manger son capital. Dans ces cas-là, la protection douanière est un moyen de faire naître les industries de luxe dans le pays et de permettre au moins aux ouvriers et entrepreneurs nationaux de vivre de ce qu’il plaît aux riches de gaspiller. Henri IV l’avait admirablement compris. Sully raconte en termes charmants comment ce grand prince rompit avec la vieille pratique des lois somptuaires, qui n’avaient jamais servi à rien, pour élever dans le pays les premières manufactures de soieries et de draps d’or. (Economies royales (édit. Petitot, t. IV), pp. 261 et suiv.)