Aller au contenu

Page:Jannet - Le capital, la spéculation et la finance au XIXe siècle, 1892.djvu/31

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Non seulement ils épuisaient les nations soumises de tributs et de corvées pour nourrir dans l’oisiveté le peuple-roi ; mais encore, au temps de la République, toute la vie économique, soit dans la ville, soit dans les provinces, fut dominée par de grandes sociétés de Publicains, qui achetaient le Sénat et le Forum pour pouvoir impunément se livrer à toutes les exactions et à tous les monopoles[1].

Depuis que le Christianisme a eu pris définitivement l’empire de la société, ces violences et ces exploitations de l’homme par l’homme ont été singulièrement adoucies ; le droit de conquête ne s’est plus appliqué qu’à la souveraineté politique : il a respecté les biens des particuliers. Les derniers progrès du droit des gens ont fait disparaître la mise au pillage des villes prises d’assaut et assuré le respect des propriétés privées sur mer. L’invasion des Hongrois à l’est, celle des Normands à l’occident, au dixième siècle, marquent la fin des migrations des peuples et des expropriations en masse des vaincus. La possession des fiefs resta seule, pendant le moyen âge, soumise à des causes de révocation pour félonie ou refus de service ; mais les dépossessions des seigneurs normands, au quinzième siècle, suivant que la France ou l’Angleterre triomphait, sont les dernières applications du droit féodal, de quelque importance, qui se soient produites chez nous. A partir de cette époque, la propriété des fiefs acquit une stabilité égale à celle des autres genres de propriété, en sorte qu’elle leur était complètement assimilée en fait. Augustin Thierry, sous la Restauration, mettait son talent au service des pires inventions de l’esprit de parti, en prétendant que les ouvriers et les paysans d’aujourd’hui sont les descendants

  1. Voy. le livre de M. A. Deloume : les Manieurs d’argent à Rome (Thorin, 1890,1 vol. in-8). Le savant secrétaire perpétuel de l’Académie de législation de Toulouse établit que ces puissantes sociétés, qui affermaient les impôts, le domaine et les grands travaux publics, étaient organisées sous la forme de commandite par actions. Il fait judicieusement remarquer que leur puissance devint d’autant plus écrasante qu’elles jouissaient d’une situation absolument privilégiée. La liberté d’association et le droit de constituer des sociétés de capitaux survivant à la personne des associés n’existaient pas dans le droit romain. Les particuliers, qui n’exerçaient pas eux-mêmes l’agriculture ou le commerce, n’avaient d’autre emploi pour leurs capitaux que l’usure privée ou l’achat de parts dans les sociétés des Publicains.