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Page:Jannet - Le capital, la spéculation et la finance au XIXe siècle, 1892.djvu/33

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les Français descendent de Charlemagne[1] ! La prescription est donc dans son essence de droit naturel, et c’est à bon droit que les moralistes estiment qu’une possession séculaire vaut titre[2] ; car au bout de ce temps le mélange des races, s’il n’est pas accompli, est bien avancé.

Un fait physiologique de grande conséquence travaille encore en ce sens. Les familles de condition supérieure se reproduisent moins que celles de condition plus modeste, et, si l’on tient compte exclusivement de la succession au nom par les fils, comme c’est le cas dans nos sociétés occidentales, elles disparaissent très rapidement[3]. La pratique constante des représentants des familles supérieures d’épouser des héritières filles généralement de nouveaux enrichis, d’une part, la succession aux biens par les femmes, qui a prévalu en ce siècle dans toute l’Europe continentale, d’autre part, activent considérablement ce mélange des races et des fortunes[4].

L’instabilité des fortunes est devenue très grande par suite de la prépondérance de plus en plus grande dans la société moderne de ce qu’on peut appeler les mobiles économiques.

En France, chaque immeuble change de mains tous les dix-neuf ans en moyenne, savoir : tous les quarante-cinq ans par aliénation à titre onéreux, tous les trente-cinq ans par succession.

  1. Etude sur le principe aristocratique, par G. Le Hardy. Caen, 1872.
  2. V. Opus theologicum morale, par Ballerini et Palmieri, t. III. (Prat l, l) pp. 152, 160.
  3. V. sur ces questions une note de M. de Kerallain dans la traduction française des Etudes sur l’ancien droit et la coutume primitive de Sumner-Maine (Thorin, 1885), pp. 206-208, et l’Histoire de la Science et des Savants depuis deux siècles, par A. de Candolle (2e édit. Genève-Bâle, 1885), pp. 154 et suiv.
  4. « J’ai vu en Bretagne, dit Bernardin de Saint-Pierre, des gentilshommes qui descendaient des plus anciennes maisons de la province et qui étaient obligés pour vivre d’aller en journée faucher les foins des paysans. » Etudes de la nature, t. III, p. 239. L’Allemagne est le seul pays chrétien où la différence de naissance soit demeurée au point de vue civil un obstacle au mariage : et cependant, même dans ce pays, au xve siècle, on trouve parmi les paysans (bauern) des descendants de familles nobles. Des nobles tombés dans la pauvreté mariaient leurs filles à de riches paysans, dont les enfants plus tard se considéraient eux-mêmes comme demi-nobles. « En étudiant l’histoire des cadets de beaucoup de grandes familles, on les suit pendant deux ou trois générations ; puis ils disparaissent, ils redescendent peu à peu au rôle de cultivateurs ou quelquefois sont absorbés par les classes ouvrières, sans qu’on sache ce qu’ils sont devenus. » Blondel, les Classes rurales en Allemagne au moyen âge, dans la Réforme sociale du ler novembre 1891.