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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


conseil de guerre[1]. L’aphorisme que son honneur peut seulement lui être rendu par des soldats n’est qu’une phrase, à peine sonore et qui sonne faux. Pour quelle raison ? De symétrie, parce que des soldats l’ont condamné par deux fois, — ce fut l’argument de Clemenceau[2], — ou d’uniforme ou d’épaulettes ? Nullement juriste, dit Mornard, « mais homme d’intelligence et de bon sens », il se refuse à penser que l’arrêt « émané de la plus haute juridiction et motivé », aurait moins de valeur et serait revêtu d’une moindre autorité que le verdict, « formulé par un oui ou un non », « d’un tribunal subalterne composé de juges improvisés[3] ». Certainement, il ne croit pas que les juges militaires condamnent ou acquittent par ordre, et il croit, comme Picquart, que « jamais un conseil de guerre français ne se solidariserait consciemment avec la fraude et le mensonge[4] » ; il se souvient pourtant qu’il fut des heures où Picquart, non moins grossièrement accusé que lui, soit d’espionnage, soit de faux, chercha asile dans cette même justice de la Cour de cassation[5]. Les juges militaires, aussi loyaux, sans doute, que les juges civils, ne sont point des magistrats de métier ; hiérarchisés, ils reçoivent, presque à

  1. Voir p. 283. — « M. Clemenceau a rappelé, écrit encore Picquart, que la comparution de Dreyfus devant un troisième conseil de guerre était la suite naturelle du jugement de Rennes. Le texte de la loi le veut… Ces champions timorés de la vérité et du droit en seront probablement pour leur beau geste. » (Gazette de Lausanne du 2 janvier 1904.) — Havet avait soutenu la même opinion, dans une lettre à Pressensé, président de la Ligue des Droits de l’Homme (août 1904).
  2. Voir p. 284.
  3. Revision, II, 419, Mornard.
  4. Gazette de Lausanne du 1er février 1904, Conseils de guerre.
  5. Voir t. V, 23.